La chanteuse Jeanne Cherhal s’inquiète de la montée du FN et de l’extrémisme religieux, revient sur les attentats contre Charlie Hebdo et évoque le journal de son lycée.
Vous êtes en tournée pendant plusieurs mois : avez-vous le temps de suivre l’actualité? Qu’est-ce qui vous a marquée récemment?
Jeanne Cherhal – Malheureusement, j’ai été marquée par la même chose que tout le monde, cette terrible histoire d’avion… Ce qui est terrifiant, c’est le geste atroce du pilote. Ce n’est pas un suicide à ce niveau-là, c’est un meurtre à grande échelle. J’en ai même rêvé cette nuit. J’ai une amie qui vit à une minute de l’endroit où l’avion s’est abîmé. Je suis touchée par cette catastrophe… On se demande à quel niveau de contrôle on va être soumis à l’avenir, autant pour les passagers que pour le personnel à bord. Et on se demande aussi jusqu’où la monstruosité humaine peut aller.
En janvier, vous avez chanté, avec votre groupe de choristes Les Françoises, pour Charlie Hebdo. Sur votre page Facebook, on constate chaque semaine votre attachement au journal. Comment avez-vous vécu ce début d’année?
Pas très bien. Je me sentais attachée à Charlie Hebdo depuis mon adolescence, c’est un journal qui a fait partie de mon éducation. Quand j’étais au lycée, j‘écrivais dans le journal de mon école et Charlie Hebdo était mon modèle. Notre journal s’appelait Le Cafteur. Un des journalistes de ce petit noyau est même devenu vraiment journaliste à Télérama (rires)… Je me souviens avoir participé à un grand marathon de journaux lycéens à Poitiers, dont les parrains étaient Charb et Philippe Val. En vingt-quatre heures, on devait monter un journal d’après l’actualité. J’avais 15 ou 16 ans, on était tous au Guronsan, c’était super (rires). Charlie Hebdo, c’était une ouverture d’esprit et une insolence qui me faisaient rêver. On l’a déjà beaucoup dit, je le sais, mais c’est tellement violent : s’attaquer à des gens intelligents, gentils, qui font des dessins et n’ont pas d’autre but dans la vie que de dénoncer les choses importantes et faire le bien autour d’eux… J’ai été très choquée, très triste. J’ai beaucoup pleuré pendant cette période sombre. Toutes les semaines, maintenant, je publie la une de Charlie sur ma page Facebook. C’est trois fois rien, mais symboliquement je trouve ça important de continuer à faire vivre l’esprit du 11 janvier.
Que retenez-vous des élections départementales?
Je vis à Paris donc je n’ai pas eu à voter. Mais toute élection est importante à mes yeux. Comme nous sommes en tournée sur la route en ce moment, on se retrouve souvent dans des petits villages, entre deux concerts. J’ai été effarée de voir, pour le second tour, autant d’affiches pour le Front national. Je trouve que cette élection dit quelque chose de notre pays et que c’est inquiétant de voir qu’autant de gens se tournent vers ce parti…
Il y a trois ans, vous aviez signé un appel, soutenu par les féministes, à voter François Hollande… Qu’en est-il aujourd’hui?
Le texte était orienté : il s’agissait de donner une place prépondérante aux femmes, de soutenir la promesse de Hollande de rétablir le ministère du Droit des femmes. Autrement, je n’aurais pas soutenu un candidat. Je ne soutiens pas un parti, je n’ai pas de carte. Je préfère soutenir des idées, des actions.
Que vous inspire aujourd’hui le retour de la droite? Distinguez-vous celle de Nicolas Sarkozy et celle d’Alain Juppé ?
Ce qui me fait le plus peur, c’est la montée massive du Front national. Je ne suis pas assez briefée pour faire un distinguo entre la droite de Sarkozy et celle de Juppé. Nicolas Sarkozy ne m’inspire rien, à part une chanson ironique de temps en temps (rires). Mais c’est tout. Je préférerais voter blanc que lui donner ma voix.
Votre morceau Noxolo vous fut inspiré par l’histoire d’une jeune Sud-Africaine assassinée parce qu’elle était lesbienne. Aujourd’hui, en France, avez-vous l’impression que la société a suffisamment évolué à ce sujet?
Oui et non. J’ai été très choquée au moment des manifestations contre le mariage pour tous. Je pensais que nous étions plus ouverts d’esprit en France et que ce texte serait une formalité. Je n’avais pas pris conscience de l’ampleur du mouvement qui s’y opposait. Je n’ai jamais compris comment on peut être dérangé par la sexualité de quelqu’un d’autre, c’est quelque chose qui me dépasse. L’homophobie est quelque chose que mon cerveau n’arrive pas à comprendre. Une vie sexuelle, c’est tellement personnel, intime. Ça n’appartient qu’à soi. Heureusement, le mariage pour tous est passé. Mais quand même… Un tel grabuge, c’est un peu la honte. Depuis, j’ai assisté à plusieurs mariages homosexuels. Personnellement, le mariage ne me fait pas rêver. Mais je comprends que chacun ait envie d’avoir les mêmes droits, ça tombe sous le sens.
La colère semble être un moteur pour vous : outre Noxolo, vous aviez écrit Quand c’est non, c’est non en réaction à l’affaire DSK. Qu’est-ce qui vous révolte?
L’extrémisme religieux. Je ne suis pas pratiquante, je ne revendique pas de religion. Mais je suis révoltée quand je vois une pratique humaine censée rassembler et provoquer l’amour entre les gens devenir aussi violente, assassine, bête… Ça me met en colère que certains puissent utiliser la religion pour anéantir autour d’eux, pour empêcher les femmes de s’exprimer ou de prendre le volant, pour empêcher les gens de s’aimer librement. Je trouve que c’est le fléau de ce début de siècle. Cette colère existe en moi, elle mûrit. Je ne sais pas encore si j’écrirai un jour là-dessus. C’est un sujet délicat.
Il y a quelques semaines, vous avez été conviée par Véronique Sanson pour interpréter avec elle sur scène Besoin de personne. Auparavant, vous aviez revisité son album Amoureuse. Qu’incarne-t-elle pour vous?
Une musicalité unique et indépassable. Je l’admire énormément. Dans ma tournée, comme on enchaîne les dates, on fait une reprise tous les soirs. Avant, ça pouvait aller de Bibie à Guy Marchand… Depuis février, on fait tous les soirs une reprise de Véronique Sanson différente, donc elle est très présente… C’est une femme qui sait parler de la féminité, de la fragilité et de la puissance féminines d’une manière qui me touche et qui m’émeut beaucoup. Il y a trois ans, j’ai passé six mois sur les chansons d’Amoureuse pour parvenir à les interpréter avec fluidité. C’était un aboutissement pour moi de partager ce duo avec elle.
Quel disque écoutez-vous en ce moment ?
J’ai envie de citer une jeune chanteuse qui vient de sortir son premier album. Elle s’appelle Circé Deslandes et son disque s’intitule Œstrogenèse. C’est très audacieux, un peu érotique. Ça ne ressemble à rien d’autre.
Tournée dans toute la France, notamment le 5 juin à Paris (salle Gaveau), le 4 juillet à Lyon (Nuits de Fourvière)