Parodié, moqué, insulté, l’intellectuel à la chevelure soignée est l’une des têtes de turcs préférées du web. Décryptage.
Lorsqu’en 1977, Bernard-Henri Lévy publie La Barbarie à visage humain, c’est Gilles Deleuze et Cornelius Castoriadis qui dégainent leur plume pour lui répondre à coups de livres et de tribunes dans la presse. Trente ans plus tard, ce sont des internautes anonymes qui s’en chargent.
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Si la posture d’intellectuel ultra médiatique et moraliste de BHL a très vite suscité l’animosité, Internet a considérablement amplifié le phénomène en rendant visibles toutes les petites et grandes humiliations qu’a connues le philosophe. Sa mégalomanie et son coté va-t-en-guerre sont raillés. On ne compte plus les photomontages où l’image de BHL est incrustée en pleine champ de bataille de la Guerre des étoiles ou devant la statue de la Liberté de la Planète de Singe avec cette légende savoureuse : “Il le savait bien avant Charlton Heston”.
Pour l’auteur du Tumblr “Liberté je crie ton nom”, parodiant des photos de BHL, c’est la volonté du philosophe de se mettre en scène sur des zones de conflit qu’il explique la multiplication de ces détournements : “Les photos de Bhl en Libye ont un potentiel comique indéniable: un intellectuel aux cheveux longs et soignés, avec une chemise blanche immaculée, face à des combattants barbus et couverts de poussière… Le décalage est énorme. Il y a un vrai côté Oui-oui va voir la guerre”.
« BHL était un mème avant que les mèmes n’existent »
« C’est la télévision qui a fabriqué BHL, avec sa logique du spectacle imposé. Internet et le web c’est une autre logique, ce qui y ressort, c’est son incongruité », estime pour sa part, Xavier de La Porte, co-auteur du « B-A-BA du BHL » aux éditions La Découverte, « BHL était un mème (un phénomène repris et décliné en masse sur internet NDLR) avant que les mèmes n’existent. La récurrence de ses poses, de ses tenues, le fait d’imposer son propre ridicule, tout y est« .
Pour Josselin Bordat, co-fondateur de Brain-Magazine, site qui aime se moquer de BHL assez régulièrement, ceci s’explique par “un talent tout particulier pour générer du contenu drolatique de qualité. Lorsqu’il déclare dans une interview gagesque « J’ai refusé de tuer, dans la tranchée, en Bosnie », il serait criminel de ne pas exploiter une telle punchline non ? Pour Brain, qui se définit comme un mag « intellol », BHL est parfait : c’est un homme qui se pense intello alors qu’en fait il est rigolo”.
Un vrai potentiel comique
Noël Godin poursuit BHL depuis trente ans, et pour celui plus connu comme “l’entarteur”, c’est aussi le potentiel comique du personnage qui explique l’acharnement:
“Au départ, nous ne le visions même pas. Nous devions entarter Philippe Solers lors d’une émission de la RTBF, mais il a annulé, et BHL l’a remplacé. Bon au final, c’était encore mieux. Comme il se prend tragiquement au sérieux, se faire entarter, c’est un drame absolu pour lui.. Et donc c’est d’autant plus drôle. La première fois, il sautait en hurlant “Arrêtez les caméras !”, ensuite il a eu quelques réactions violentes…. C’est la seule personne que nous avons entarté plusieurs fois, c’est la tête à tarte par excellence. Nous l’avons déjà entarté sept fois, et la huitième ne devrait pas tarder”.
https://www.youtube.com/watch?v=F36OXrrO3Fc
Sur les commentaires de ses passages télévisés diffusés sur Youtube, on lui reproche d’être “une vache sacrée”, “un pseudo-intellectuel multicarte s’exprimant sur tous les sujets de la composition du couscous à la fonte des glaces au Groenland”. Car si les films de Bernard Henri-Lévy ne font plus recette et que sa dernière pièce de théâtre – « Hôtel Europe » – s’est brutalement arrêtée faute de spectateurs, le philosophe n’en demeure pas moins un incontournable personnage médiatique.
BHL arbore la même chemise blanche impeccable sur tous les plateaux télévisés comme si ses échecs et ses erreurs (comme le fait de citer très sérieusement le philosophe Botul inventé par le journaliste Frédéric Pagès dans l’un de ses ouvrages) n’avaient pas de prise sur son col. À mots couverts, une animatrice de France Télévision le confirme : « Même s’il ne fait plus recette et qu’il a perdu une grande partie de sa crédibilité intellectuelle, les producteurs de chaîne continuent de jurer que par lui ». Dès lors, Internet se plait à se moquer de lui comme pour mieux compenser l’écart considérable entre sa légitimité télévisuel et sa perte de crédibilité au sein de l’opinion.
« Le web l’expose à des gens qui n’ont rien à craindre de lui »
« La parole critique vis-à-vis de BHL sur le web a très vite été véhémente car elle a longtemps été impossible dans les médias classiques. Ses films, livres ou pièces font d’ailleurs toujours l’objet de commentaires éminemment favorables dans la presse ou à la télévision, confirme Xavier de La Porte. Globalement, il reste très protégé pour des raisons d’amitié, de rapports d’intérêt ou bien même d’une crainte intériorisée. Le web l’expose à des gens qui n’ont rien à craindre de lui« .
Cette critique se révèle parfois plus virulente lorsque Dieudonné et ses ouailles l’utilisent comme un défouloir à leur logorrhée antisémite. “Pour l’extrême droite, BHL représente tout ce qu’ils détestent, analyse l’historien Nicolas Lebourg. A savoir, le cosmopolitisme, le devoir d’ingérence qui nie les souverainetés, l’intellectuel de lettres et la permanence dans la présence du pouvoir politique qu’il soit de droite ou de gauche”.
Une fonction de catharsis de nos propres ego
Mais au delà de ses positions politiques, le succès de la critique de BHL sur le web n’est peut-être qu’une mise en abime de notre propre narcissisme. C’est du moins l’avis de Josselin Bordat de Brain Magazine :
“Le BHL du web n’est pas le BHL réel, il s’agit d’un « mème humain » dont on peut penser qu’il incarne l’idée même de l’hypertrophie de soi, de la mise en scène permanente et ridicule de soi. Or par ailleurs c’est précisément ce que nous faisons constamment nous même sur les réseaux sociaux : nous mettre en scène, surestimer notre propre importance. De même on reproche aussi souvent à BHL de mentir sur ce qu’il fait vraiment dans le réel (de mettre en scène de manière factice sa présence sur un lieu de conflit par exemple) ; là encore c’est une expérience commune à tous les internautes : la discordance entre nos vies numériques idéalisées et nos vies réelles. Peut être que se moquer de BHL remplit une fonction de catharsis de nos propres ego 2.0”.
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