L’entreprise a révélé dans un article scientifique avoir réalisé une expérience psychologique portant sur près de 700 000 utilisateurs anglophones. Si l’étude apporte des conclusions intéressantes, les méthodes du réseau social se révèlent une fois de plus inquiétantes.
Sommes-nous tous les rats de laboratoire de Mark Zuckerberg ? Au vu des nouvelles révélations concernant Facebook, on dirait bien. Un article scientifique publié conjointement par un scientifique de l’entreprise, Adam Kramer, et deux universitaires (de l’université Cornell et de l’université de Californie) dans la très sérieuse Proceedings of the National Academy of Sciences révèle que le réseau social a mené une étude psychologique sur 689 003 utilisateurs anglophones choisis au hasard.
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Durant une semaine en janvier 2012, Facebook a ainsi injecté plus ou moins de posts négatifs et positifs – départagés ainsi selon les mots qu’ils contenaient- dans le fil d’actu de certains de ses utilisateurs. Résultat : les fils d’actu concernés se sont vus amputés de certains posts qu’ils auraient dû contenir. L’objectif était d’évaluer dans quelle mesure la lecture de ces posts influençait la teneur des messages rédigés par la suite par les utilisateurs visés. Au total, 3 millions de messages ont été analysés, soit 122 millions de mots, parmi lesquels 4 millions étaient positifs et 1,8 million négatifs. Conclusion :
« Les émotions exprimées par des tiers sur Facebook influencent nos propres émotions et constituent dès lors la preuve de la contagion massive à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Cette étude révèle également que contrairement à des conclusions précédentes, les interactions en chair et en os et les signaux non-verbaux ne sont pas nécessaires à la contagion émotionnelle, et que l’observation des expériences positives de tiers constitue en elle-même une expérience positive ».
En clair, les personnes ayant reçu plus de posts positifs dans leurs fils d’actu ont publié davantage de messages positifs, et inversement. Ainsi, si l’on savait déjà qu’une interaction directe entre deux utilisateurs du réseau social pouvaient influencer leurs futurs posts, on sait désormais que le fait d’entrapercevoir, au détour d’un message apparaissant dans le fil d’actu, une émotion négative ou positive va avoir des conséquences sur l’humeur d’un utilisateur. En d’autres termes, la communication non-verbale (gestes, attitude, etc.) n’est, d’après cette étude, plus nécessaire à la « contagion émotionnelle ».
Si les conclusions de cette étude sont intéressantes, les méthodes employées par Facebook posent une nouvelle fois problème. L’entreprise n’a en effet pas demandé ni même averti les 700 000 utilisateurs qu’ils seraient les cobayes d’une expérience le temps d’une semaine. Dans les conclusions de son étude, Facebook tente de se dédouaner en arguant du fait qu’en acceptant ses conditions générales d’utilisation, l’utilisateur valide de probables expériences. Cependant comme le souligne The Atlantic, les conditions générales de Facebook sont composées de plus de 9 000 mots. Et le site américain de poser la question de l’accessibilité de cette charte.
Le manque d’honnêteté du réseau social va encore plus loin. Le Guardian révèle ainsi qu’une clause autorisant Facebook à utiliser les informations de ses utilisateurs « pour des opérations internes, incluant la recherche » a été ajoutée aux conditions générale d’utilisation en mai 2012, soit quatre mois après la fameuse étude.
« Les bienfaits de cette recherche ne justifient peut-être pas l’inquiétude produite »
Preuve s’il en est que l’expérience menée par Facebook est loin d’être irréprochable, son directeur, Adam D.J. Kramer, s’est senti obligé de poster le 29 juin un message d’explications sur son profil. « Aucun post n’a été ‘caché’, ils n’apparaissaient juste pas dans plusieurs fils d’actu. Ces posts étaient toujours visibles sur les timelines des amis des utilisateurs concernés (…) » écrit-il, ajoutant:
« Le but de toutes nos recherches à Facebook est de trouver comment améliorer notre service. Ayant écrit et mis en place cette expérience moi-même, je peux vous assurer que notre objectif n’a jamais été d’agacer quiconque. Je peux comprendre pourquoi certains ont des inquiétudes à ce sujet et mes coauteurs et moi-même sommes vraiment désolés de la façon dont l’article décrit notre recherche et cause de l’anxiété. Avec le recul, les bienfaits de cette recherche ne justifient peut-être pas l’inquiétude produite ».
Contacté par The Atlantic, le fondateur du site de psychologie Psych Central, John Grohol, affirme que le protocole suivi par les scientifiques pour leur étude n’est pas fiable. Et de prendre pour exemple les deux statuts clairement négatifs « Je ne suis pas heureux » et « Je ne passe pas une super journée ». Selon lui, le programme d’analyse de texte Linguistic Inquiry and Word Count (2007) utilisé par Facebook dans son étude leur aurait attribué deux points de positivité pour les mots « super » et « heureux » et deux de négativité pour le « ne…pas » présent dans les deux expressions. « Ce que les scientifiques de Facebook montrent c’est qu’ils ont trop foi en les outils qu’ils utilisent, et qu’ils ne comprennent pas, ni ne discutent, de leurs évidentes limitations« . Cependant, The Atlantic précise qu’un comité indépendant d’éthique aurait bien validé l’étude menée par Facebook.
Contacté par Les Inrocks, Jérémie Zimmermann, co-fondateur et ex-porte parole de la Quadrature du Net, met, lui, en garde contre les véritables intentions de Facebook, dont « le modèle économique est d’espionner ses utilisateurs et de vendre les données collectées au plus offrant« . Il appelle une fois de plus à « réinventer des communications décentralisées, chiffrées de bout en bout par des logiciels libres » afin que l’on se « débarrasse de cet espionnage de masse qui porte atteinte, au-delà de la protection de notre vie privée au plus profond de nos intimités« .
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