On ne s’étonnera guère de trouver un journaliste réputé du Village Voice à la tête d’un des orchestres de jazz actuel parmi les plus novateurs. Comme son confrère DJ Spooky, Greg Tate est un érudit qui planche sur l’esthétique noire depuis plus de vingt ans ? en fait un ancien étudiant en cinéma venu à […]
On ne s’étonnera guère de trouver un journaliste réputé du Village Voice à la tête d’un des orchestres de jazz actuel parmi les plus novateurs. Comme son confrère DJ Spooky, Greg Tate est un érudit qui planche sur l’esthétique noire depuis plus de vingt ans ? en fait un ancien étudiant en cinéma venu à la musique grâce aux textes fondateurs d’Amiri Baraka. Ce grand spécialiste des œuvres de Cecil Taylor et de Basquiat fut avant tout un irremplaçable témoin du bouillonnement créatif new-yorkais au tournant des années 80, c’est-à-dire de cette collusion des styles qui voyait cohabiter des groupes comme DNA et Kid Creole & The Coconuts.
Pour lui, la musique est définitivement restée cet élément essentiel du débat culturel, social et politique. C’est d’ailleurs afin d’en rendre compte qu’il participa alors à la création de la Black Rock Coalition, une association qui lutta contre les cloisonnements raciaux entre les genres et dont Living Colour fut issu. Dans les grandes lignes, voilà situé Greg Tate, leader de Burnt Sugar, son dernier groupe en date, qu’il envisage comme un clan néotribal et bohème.
Toutefois, plus que de groupe, il vaudrait mieux parler d’extravagant collectif à géométrie variable (une vingtaine de personnes et jusqu’à trois guitaristes et deux batteurs) autour duquel gravitent quelques électrons libres dont Vernon Reid (de feu Living Colour), Vijay Iyer (dernièrement repéré aux côtés de Mike Ladd) et Pete Cosey (entendu chez Miles dans les années 70). Pour diriger ce beau monde, Greg Tate use d’une méthode singulière élaborée par Lawrence « Butch » Morris : la conduction. Sur scène, on voit qu’elle consiste, par gestes, à guider des improvisateurs en temps réel, tandis que sur disque la cohérence du résultat n’est jamais figée. Car ce que traque Greg Tate sans partitions, c’est le juste milieu entre la spontanéité des improvisations et la rigueur des orchestrations.
Portées par une démoniaque rythmique inamovible, les pièces aux temporalités étirées de Black Sex ? inspirées par Bitches Brew ? saisissent l’énergie dans son éruption même. Dans leurs textures complexes et proliférantes, tempo et harmonie se dissolvent souvent, même si des morceaux chantés proches de Prince, mais aussi du hip-hop (remarquable Kirk Douglass des Roots) et des reprises (Mtume de Miles Davis, Driva Man/Freedom Day de Max Roach) rappellent la passion du leader pour la great black music dans sa globalité. Rarement Miles, Sun Ra, Jimi Hendrix, Funkadelic et Afrika Bambaataa auront tous été célébrés avec une telle ferveur fusionnelle.