Après avoir fait ses preuves pour la musique, le crowdfunding se développe aussi sur le net dans le domaine du documentaire. Un soutien salvateur pour les projets indé les moins consensuels.
Après l’agriculture, le documentaire invente le circuit court. A la façon des maraîchers qui relancent la vente directe de fruits et légumes, des réalisateurs font désormais appel au public pour coproduire leurs films. Ils utilisent pour cela le système du crowdfunding, développé en France par une trentaine de plates-formes internet : Ulule, Touscoprod, Kisskissbankbank… En quatre ans, près de 40 millions d’euros ont été investis par ce moyen pour soutenir 60 000 projets dans divers domaines : audiovisuel, sport, mode, solidarité… A l’échelle mondiale, il a représenté 2,7 milliards de dollars (étude « Crowdfunding industry report 2013 » du site massolution.com).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Découvert par le grand public à travers la musique, et notamment le site MyMajorCompany, le crowdfunding se développe de plus en plus dans le secteur du documentaire. Ce sera l’un des thèmes abordés au Sunny Side of the Doc, à La Rochelle, jusqu’au 28 juin.
« Cette pratique permet d’aider les films indépendants à se monter, souligne le producteur Yves Jeanneau, commissaire général de ce grand marché international du documentaire. Si le contexte général est plutôt favorable au documentaire, avec 2 800 heures de diffusion par an sur les chaînes de télévision, on assiste toutefois à une uniformisation des programmes. Les films non consensuels ou d’investigation ont du mal à s’imposer. Le crowdfunding relève d’une forme de service public : il les aide à exister, grâce au public. »
Le principe de financement participatif repose sur deux éléments – une somme minimale à atteindre et une durée maximale de levée de fonds – ainsi que sur les contreparties fournies en échange des dons (invitation à l’avant-première, DVD, rencontre avec l’équipe…). Parce qu’ils n’arrivent pas à remplir ces conditions, environ 50 % des projets n’aboutissent pas (les sommes sont alors remboursées). « Chez nous, la moyenne de réussite est un peu plus élevée, à 62 %, et encore plus pour les documentaires, à 69 %, explique Mathieu Maire du Poset, directeur des projets à Ulule, plate-forme créée en octobre 2010. C’est un secteur en pleine croissance. Au début, les porteurs de projet étaient des étudiants. Aujourd’hui, des boîtes de production nous contactent pour compléter leurs budgets. »
Touscoprod s’est, elle, spécialisée dans l’audiovisuel dès sa création, en janvier 2009. Cette plate-forme est aujourd’hui reconnue par le département audiovisuel de la Sorbonne et par le Centre national du cinéma, où elle intervient. « Quand on s’est lancés, le crowdfunding était inconnu, raconte Matthias Lavaux, l’un des fondateurs. L’exemple qui nous a inspirés était celui d’un club de foot anglais, Ebbsfleet United, sauvé grâce à 27 000 supporters à travers un site, MyFootballClub… Notre premier projet a connu un beau succès : Fin de concession, un film de Pierre Carles sur l’histoire de TF1, qui a réuni 20 000 euros et a été diffusé en salle. Les documentaires se prêtent bien à l’outil du crowdfunding car ils touchent souvent à des sujets sensibles ou à des causes qui rassemblent des réseaux prêts à se mobiliser. »
Preuve que cet outil a trouvé ses marques, il a été – indirectement – récompensé par les plus prestigieux trophées. Aux Etats-Unis, Inocente, qui raconte la vie d’une adolescente sans papiers et artiste de rue, réalisé grâce au site Kickstarter, a obtenu en 2013 l’oscar du meilleur court métrage documentaire. Et 10 % des films présentés au festival de Sundance sont passés par le crowdfunding. Touscoprod a eu son heure de gloire en 2011 avec Waste Land, portrait d’un artiste américain de retour dans son pays natal, le Brésil : il a été nominé aux oscars.
Le crowdfunding attire désormais des signatures connues, y compris dans la fiction – où l’on voit Michèle Laroque organiser avec fougue la campagne de financement participatif de son prochain long métrage, Jeux dangereux.
« J’avais depuis longtemps l’envie de réaliser un portrait de Cavanna. Fondateur de Charlie Hebdo, romancier, anar, fils d’immigrés italiens, c’est un homme atypique, oublié des jeunes générations, raconte le journaliste Denis Robert. Personne n’en a voulu. Dans les chaînes de télé, je me suis heurté soit à des ignares qui ne le connaissaient pas, soit à des gestionnaires qui me disaient qu’il était trop vieux… Alors je suis passé par Kisskissbankbank. Il nous fallait 20 000 euros pour nous lancer, on en a récolté 22 300 en quarante jours. Cela nous a permis de trouver deux coproducteurs, la chaîne câblée Toute l’histoire et une télévision lorraine, Mirabelle. Et d’atteindre un budget de 90 000 euros. Comme par miracle, un des diffuseurs qui nous avaient dit non est revenu depuis sur sa décision… »
Les grandes chaînes de télévision regardent encore d’un peu loin ce phénomène en plein développement. D’après Yves Jeanneau, cet outil « ne fait pas partie de leur culture, ni de leurs perspectives ». Mais il est convaincu qu’elles y viendront à terme. « Toute l’histoire du documentaire s’est faite autour de ce genre de mobilisations, rappelle-t-il. Il y a cinquante ans, la télévision n’en diffusait pas. Ce sont les projections militantes et les ciné-clubs qui les ont fait vivre. Le crowdfunding, aujourd’hui, encourage l’audace et l’originalité. A sa façon, c’est une forme de contre-pouvoir. »
Sunny Side of the Doc jusqu’au 28 juin à La Rochelle, www.sunnysideofthedoc.com
principales plate-formes de crowdfunding fr.ulule.com, www.touscoprod.com, www.kisskissbankbank.com
{"type":"Banniere-Basse"}