Pour exploiter les données personnelles à des fins commerciales, le réseau social sort le grand jeu et bat en brèche la confidentialité.
Si demain votre gardienne affiche dans le hall de l’immeuble des cartes postales d’amis en vacances et autres missives personnelles au lieu de les glisser dans votre boîte aux lettres, ne vous vengez pas sur ses étrennes. C’est probablement qu’elle pense comme Mark Zuckerberg, que la notion de vie privée a “évolué” et que “les gens sont désormais à l’aise avec l’idée de partager plus d’informations”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
A l’échelle du jeune patron de Facebook, cette philosophie de la diffusion de soi – servie sans ciller à un auditoire conquis, début janvier à San Francisco – sert de justification au récent changement des conditions d’utilisation du réseau communautaire. Pour 350 millions d’utilisateurs. Avec un objectif simple : augmenter le périmètre des informations visibles par tous, réduire le champ de la restriction privée. Et une méthode radicale : le passage en force. “Zuckerberg est toujours à la recherche de son modèle économique et pour avancer il lui faut parfois pousser les mentalités”, observe Cédric Deniaud, consultant et expert en réseaux sociaux.
Quitte à froisser parfois les utilisateurs et à faire machine arrière si la pilule ne passe pas. Ce qui s’est déjà produit à deux reprises, érodant chaque fois légèrement la confiance du public pour le monde merveilleux de la “friend request”. En 2007, Zuckerberg renonçait ainsi après quelques semaines de grogne à Beacon, une application publicitaire jugée trop intrusive et en 2009, il annulait les nouvelles conditions d’utilisation face à un début de cybermutinerie.
“Facebook est à un carrefour” analyse Stéphane Zibi, consultant en marketing des réseaux sociaux. “A force de jouer la confiance des marques au détriment des utilisateurs, il risque d’attiser la méfiance que suscitent déjà ses maladresses.” Des gaucheries au nombre desquelles il faut ajouter la récente et fort peu démocratique initiative du réseau de bloquer deux sites permettant de supprimer définitivement son profil (Seppukoo et Web2.0 Suicide Machine)… au nom du respect de la vie privée. “L’erreur, c’est de ne pas considérer Facebook comme une entreprise, de croire qu’il y a une certaine connivence, et que l’on garde le contrôle” note Cédric Deniaud. “Or, on est seulement locataire et le propriétaire abuse parfois de sa position. Ils ont beau être jeunes, ce sont des entrepreneurs enclins à pratiquer le double discours.”
Un point de vue que partage Fabrice Epelboin, analyste des usages internet sur le site ReadWriteWeb : “On ne dirige pas une start-up de la même manière qu’on pilote une entreprise comme Renault ou EDF, explique-til. Zuckerberg peut se réveiller le matin avec une nouvelle idée et commencer à la mettre en oeuvre dans la journée. Mais là où il n’est pas honnête, c’est que Facebook ne se contente pas de suivre les évolutions de la société concernant la vie privée, il est un facteur de ce changement.” Le problème c’est que les internautes n’ont pas nécessairement rejoint le réseau social pour qu’on y exploite leurs données personnelles à des fins commerciales. “Facebook est à la fois moderne et ringard”, théorise Grégoire Audidier, directeur du planning stratégique à l’agence DDB. “Moderne parce qu’il est dans une démarche de cocréation de la marque avec ses utilisateurs, mais ringard parce qu’il ne le fait que sous la contrainte, et toujours après coup.” Une incapacité à être précurseur et réellement participatif qui pourrait lui coûter un jour sa place : “Le danger pour Facebook est d’être dépassé par un acteur qui comprenne mieux ces enjeux, avertit-il. Déjà il n’est pas leader partout, comme au Brésil où on lui préfère son concurrent Orkut. Mais surtout, il ne s’applique pas les principes qu’il érige.”
{"type":"Banniere-Basse"}