Pour Rue89, Mediapart ou Slate, les subventions garantiraient leur survie et le pluralisme de la presse. Mais Arrêt sur images et bon nombre de blogueurs les contestent au nom d’une info indépendante du pouvoir.
La presse essoufflée héritera en 2010 de 900 millions d’euros d’aides de l’Etat. Avec une nouveauté, les sites d’information vont désormais se partager une part du gâteau : 60 millions d’euros sur trois ans ont été accordés aux “pure players” (uniquement sur la toile) et sites de journaux, sous forme de subventions et d’avances.
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Soixante-dix dossiers ont été déposés au fonds d’aide au développement des services de presse en ligne et une commission tranchera fin janvier.
Ces subsides financeront des développements comme la nouvelle plate-forme de Rue89. Selon Le Monde, Rue89 recevrait 249 000 euros, Mediapart 200 000 euros et Slate.fr 199 000 euros.
Mais les cas de conscience sont de rigueur : le site Arrêt sur images a ainsi poliment refusé ces aides publiques, au nom de son autonomie financière et de son indépendance rédactionnelle.
“Nous ne voyons pas très bien pourquoi le contribuable nous aiderait”, écrivait Daniel Schneidermann en novembre, évoquant également une “crainte pour notre liberté de ton”.
L’assistance de l’Etat a surtout suscité l’ire de plusieurs blogueurs pour qui elle pérennise un “modèle de presse croupion” d’après le Vogelsong du blog Piratage(s) et représente une “trahison pour un plat de lentilles” pour Narvic, du blog Novövision.
Une aumône, en somme, pour mieux instrumentaliser les médias. Le blogueur et auteur Thierry Crouzet fustige les “journalistes opportunistes” qui auraient “retourné leur veste” pour mieux s’incliner devant l’Elysée :
“Le gouvernement ne subventionne que la presse qu’il peut contrôler, c’est-à-dire celle qui ressemble à une entreprise (et déficitaire de préférence). (…) N’avez-vous pas honte de demander de l’argent ?”
Face à la crainte d’une presse en ligne subventionnée, donc muselée, certains rappellent que ce type d’aides – celles à destination de la presse papier existent depuis 1945 – continuera d’exister bien après le mandat de Nicolas Sarkozy.
“On ne vend pas son âme au diable, résume t-on chez Yagg. Il y a un risque quand on met le doigt dans la confiture, mais ce n’est pas une mise sous tutelle. Le métier de journaliste a toujours été de mordre la main qui vous nourrit” ajoute Emmanuel Torregano, du site Electron Libre.
Ces décrets viennent en aide à un secteur en crise, encore fragile financièrement et en mal de business model, mais engagé dans la course à l’innovation.
“Sur le principe, c’est très positif car ces sites ont du mal à vivre”, estime Nicolas Beau, directeur de Bakchich, actuellement en redressement judiciaire.
“La situation économique s’est dégradée, l’Etat donne un coup de pouce” explique Christophe Martet, directeur de publication du site Yagg. Il précise qu’il ne s’agit “pas du tout d’une “manne” énorme”.
Le site d’information gay fondé en 2008 a déposé un dossier avec une demande de 120 000 euros pour ses développements techniques et marketing.
C’est aussi le principe d’équité qui est en jeu, entre la presse traditionnelle et les éditeurs de presse en ligne, rappelle Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, et secrétaire général du Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (Spiil) : “Comme pour la presse traditionnelle, l’Etat garantit le pluralisme de la presse par le versement de ces subventions.”
Les pure players se singularisent dans l’affaire par un souci de transparence, en s’engageant à révéler les sommes reçues, rompant de ce fait avec les vieilles habitudes.
“Quand la nouvelle formule de Libération est entièrement financée par l’argent de l’Etat et qu’ils ne le disent pas, il y a un problème” glisse-t-on.
Pour Christophe Martet “le débat est un peu faussé quand cet argent promis au web va finalement aller dans la poche des journaux”.
C’est là que le bât blesse, pour les sites d’informations, car la majeure partie de cette aide au web devrait en fait profiter aux sites des journaux, donc à la presse traditionnelle, qui cumulera ainsi les aides du support papier et de leurs sites.
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