Après le débat sur le téléchargement de la musique, la numérisation des livres est au centre de la controverse. La guerre a commencé entre géants du net et éditeurs.
C’est le gros bazar dans le monde de l’édition. Après avoir secoué le lucratif modèle économique mis en place par les majors de la musique, internet le facétieux s’attaque aujourd’hui à l’univers feutré du livre. Avec bien sûr en première ligne sur le front, le surpuissant Google, talonné par Amazon et sa nouvelle arme de diffusion massive, gentiment nommée Kindle. Enfin, l’arrivée annoncée d’Apple sur le ring du livre numérique redouble l’hystérie des éditeurs qui se défendent à coups de plaintes devant la justice et de tribunes dans les journaux.
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Contre l’inéluctable dématérialisation du patrimoine culturel écrit mondial, les maisons d’édition n’ont pas d’autre choix que de se lancer dans la course, de peur de voir anéanti leur modèle économique et de se faire imposer prix et formats par ces iconoclastes mécréants que sont les géants du web. Elles ont donc lancé en ordre dispersé leurs propres plates-formes (Eden-Livres, Numilog, E-plateforme…), autant dire que c’est David contre Goliath.
RESPECTER LE DROIT D’AUTEUR
Catalyseur de l’ire éditoriale, Google, qui a déjà numérisé dix millions de livres, dont beaucoup sans autorisation, pour alimenter sa base, Google Books, en se prévalant du “fair use”, un “usage honnête” qui n’est pas du goût des maisons d’édition françaises qui l’ont assigné en justice pour contrefaçon. “La mort annoncée du livre papier est instrumentalisée pour imposer à la hâte les règles qui régiront demain la création”, décodait Antoine Gallimard, fin octobre dans Le Monde.
“Il faut réglementer, définir un statut du livre numérique qui doit bénéficier du même traitement que celui du papier, avec une TVA à 5,5 %, un prix unique, installer des DRM”, alerte Serge Eyrolles. Inquiet pour l’avenir des auteurs, le pdg des éditions Eyrolles considère qu’il faut “apprendre aux internautes que le gratuit tue la création”. Une partition déjà maintes fois jouée aux amateurs de musique en ligne… Même tocsin chez La Martinière où plane aussi le spectre de l’industrie musicale : “Il faut impérativement que le droit d’auteur soit respecté”, martèle Tessa Destais, conseillère du groupe qui possède le Seuil (en procès contre Google), “d’où l’urgence que tous les acteurs de l’édition se mettent autour d’une table pour discuter de leur avenir, pour ne pas être pris de court”.
DU DELEUZE 3.0 ?
Moins réticentes, de nombreuses bibliothèques publiques ou universitaires (dont Harvard et peut-être bientôt la BNF) ont dédéjà passé des accords avec Google afin de numériser leurs fonds. A l’image de la bibliothèque municipale de Lyon (BML) qui a choisi de confier à la firme américaine la numérisation de 500 000 volumes libres de droits. “Ce n’est pas Google qui est venu nous chercher mais la ville de Lyon qui l’a choisi au terme d’un appel d’offres”, rappelle Patrick Bazin, le directeur de la BML dont l’ambition est de proposer dès l’année prochaine les prémices de sa bibliothèque numérique en ligne. Loin de l’e-méfiance ambiante, Patrick Bazin enjoint les acteurs du livre à agir “quitte à prendre quelques risques”. “Le livre, qui a été le vecteur essentiel de la culture pendant deux mille ans, c’est fini, affirme-t-il. Le papier ne disparaîtra pas, mais les éditeurs doivent jouer la qualité, c’est le supermarché du livre qui est menacé.” Pour lui, “des usages non académiques du patrimoine vont se développer ; n’en déplaise aux humanistes d’antan, il sera bientôt possible de se faire une culture très vite, sans suer dans les bibliothèques”.
Une vision optimiste de la démocratisation et de l’accessibilité des savoirs où les rhizomes deleuziens se mêlent au web sémantique 3.0. Mais qui n’est pas partagée par tous, certains voyant dans l’usage de ces outils un mouvement politique et économique plus large “de compression des coûts et de la main-d’oeuvre et d’assujettissement des corps, comme Rémy Toulouse, directeur des éditions Les Prairies ordinaires. Ce n’est pas de la technophobie de base, mais ces outils modifient notre rapport au texte et à la lecture en favorisant la fragmentation, en bridant le sens critique.”
La forme ayant des conséquences sur le fond, la lecture plus éclatée qu’imposent les écrans ne favoriserait pas une lecture autonome et attentive. “On assiste à une disparition progressive du livre, notamment à l’école où les budgets qui lui sont alloués se réduisent chaque année”, s’inquiète Rémy Toulouse. Au contraire de nos bibliothèques numériques qui, elles, pourront être boostées de 360 000 livres (c’est ce que propose le catalogue d’Amazon pour son Kindle) en quelques minutes. “Jusqu’à maintenant on construisait une bibliothèque sur le long terme, au fil des hasards, note Rémy Toulouse. Avec ces outils, on pourra disposer d’emblée d’une bibliothèque qui ne sera plus en rien une extension de soi.”
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