La loi sur la Création et l’Internet est votée le 12 mai à l’Assemblée. Si les opposants à la jugent déjà obsolète, ses partisans, arc-boutés sur des modèles dépassés, assimilent maintien des industries culturelles et financement de la création.
A la reprise de l’examen du texte Création et Internet, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, on pensait que la loi serait adoptée rapidement. Un vote bloqué (qui ne retient que les amendements acceptés par le gouvernement) était même évoqué. Pourtant, les discussions se sont prolongées, le débat tournant désormais au dialogue de sourds.
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Pour le gouvernement, blessé dans son orgueil par le camouflet du 9 avril, Hadopi est une question politique. Aucun des défenseurs de la loi ne met d’ailleurs en avant son contenu pour essayer de la justifier. Il faut la faire passer pour, comme le déclarait Jean-François Copé aux Echos le 28 avril, “relever le gant”. Dans une lettre adressée aux députés UMP, il annonce que “ce n’est désormais plus la teneur de ce texte qui est en cause. Ce qui importe, c’est le problème politique créé par son rejet surprise et par le comportement absurde de l’opposition”. Christine Albanel va même jusqu’à menacer de démissionner si la loi n’est pas votée.
Pour le monde de la culture aussi, cette loi est devenue une question de principe. Que ce soit dans une lettre ouverte de professionnels déplorant l’attitude du PS ou dans celle de cinq “artistes de gauche” (moyenne d’âge 71,4 ans), le contenu de la loi et les questions qu’elle soulève (applicabilité, atteinte aux libertés individuelles, démesure de la peine, incertitude du préjudice et des résultats…) ne sont pas pris en compte. On ne se demande pas par exemple si les coûts de mise en œuvre du dispositif, évalués à plus de 70 millions d’euros par le Conseil général des technologies de l’information, sont justifiés en période de crise et s’ils bénéficieront in fine à la création. Pour ces artistes, apparemment peu au fait des technologies, et pour les professionnels qui les entourent, être contre la loi, c’est être contre la Culture.
Le contenu de la loi n’intéresse donc plus que ses adversaires, de droite comme de gauche, qui soulignent ses flous dangereux (filtrage, surveillance…) et ses blancs équivoques. “En quoi Hadopi respecte-t-elle les libertés individuelles et l’espace privé ? La procédure de la riposte graduée, notamment la suspension de l’accès, est-elle réalisable en toute fiabilité ? Les mutations technologiques ne rendent-elles pas, par avance, la loi obsolète ? La loi Hadopi sera-t-elle compatible avec le droit européen ?” demandait le député UMP Alain Suguenot en ouverture de séance le 4 mai, sans obtenir de réponse. Et si les opposants se battent sur les dispositions, c’est aussi parce que le texte paraît déjà dépassé. Ainsi, les Suédois de Pirate Bay ont lancé iPredator, un service de cryptage qui, moyennant un abonnement, permet de rester anonyme sur le net. Partout fleurissent déjà des articles pratiques : “Contourner Hadopi en 27 secondes” sur glazman.org, “10 antidotes anti-Hadopi” sur linuxmanua.blogspot.com, “Comment les pirates comptent échapper à la traque” sur 01net.com… Même lepoint.fr explique comment télécharger illégalement une fois Hadopi en place…
Au-delà des clivages gauche/droite, l’opposition est désormais profonde entre ceux qui ont pris la mesure des spécificités de l’internet et ceux pour qui la loi n’a pas à s’embarrasser de considérations techniques. Le débat ne serait alors que l’illustration d’une fracture de société entre anciens et modernes de l’ère numérique. Quand verra-t-on la fin du feuilleton ? Le résultat du vote solennel de ce 12 mai et du vote définitif après passage au Sénat fait peu de doute. Reste à savoir comment la loi sera mise en place, et qu’en dira le Conseil constitutionnel s’il est saisi. Pour l’instant, impossible de dire quand les adeptes du peer-to-peer pourront s’attendre à recevoir les premiers mails d’avertissement…
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