Souvent, il y a un indice. Un détail, un signe, un petit quelque chose qui, très vite, nous met sur la voie. Ce jeu, c’est (presque) sûr, on va l’aimer – ou pas. Ce peut-être la manière dont il se présente à nous, un élément de son univers, un personnage ou, tout simplement, les premières sensations […]
Souvent, il y a un indice. Un détail, un signe, un petit quelque chose qui, très vite, nous met sur la voie. Ce jeu, c’est (presque) sûr, on va l’aimer – ou pas. Ce peut-être la manière dont il se présente à nous, un élément de son univers, un personnage ou, tout simplement, les premières sensations qu’il procure une fois la manette (ou le combo souris-clavier, pour les gens qui jouent avec ce genre de trucs) en main. Et puis, parfois, il y a des éléments qui, sans tarder, font sentir que la relation qu’on va entretenir avec un jeu sera un peu compliquée. Exercice de style manga et récréation idéalement ensoleillée, Senran Kagura : Peach Beach Splash nous plonge dans de joyeuses parties de pistolet à eau entre jeunes filles en mini-bikinis. A un moment, l’unique personnage masculin fait une blague sur leur âge. L’un des modes de jeu permet de faire poser les demoiselles en mettant en avant leurs fesses ou leur décolleté et de leur tripoter les seins, de les attraper pour les tirer dans une direction, puis une autre. Bon.
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https://youtu.be/xm3Pk9ptB50
Dans le vaste monde des fictions transgressives de la culture pop nippone, la « franchise » Senran Kagura, qui se décline en jeux vidéo, dessin animé et manga, relève de la branche « ecchi« , soit, pour aller vite, d’un érotisme plutôt soft et humoristique qui évite la nudité frontale et vise une certaine légèreté – ce qui n’empêche évidemment pas qu’on puisse occasionnellement (et plus si pas trop d’affinités) trouver ses blagues bien lourdes. Depuis 2011, les ninjettes court vêtues de Senran Kagura ont œuvré dans le jeu d’action et de combat, le jeu de cartes à collectionner (lesquelles sont aussi, d’une certaine manière, présentes dans Peach Beach Splash) et même le jeu de cuisine avant, donc, cette déclinaison estivale sur laquelle planent à la fois l’ombre de Splatoon (pour les affrontements pacifiques mais disputés dans des arènes fermées) et celle des Dead or Alive Xtreme (pour le, disons, fan service et l’appel au voyeurisme désinhibé) – et un peu celle d’Alain Souchon, mais ça, c’est peut-être juste nous.
Sur le plan purement ludique, l’affaire est assez simple. A la fois moins précis et moins nerveux, moins inspiré et plus laborieux, Peach Beach Splash est loin de valoir Splatoon mais se rattrape (un peu) par le nombre de ses missions scénarisées à pratiquer en solo – le multijoueurs, ici, n’est pas la priorité. Séparer le gameplay de l’ »emballage » pour, par exemple, défendre le jeu d’action en mettant de côté ce que l’on est invité à faire subir à ses personnages féminins n’aurait cependant pas grand sens tant tout cela est imbriqué – et pas seulement parce que, parfois, notre héroïne perd son haut de maillot en pleine action. L’expérience Peach Beach Splash, c’est la relation même que l’on entretient avec ses personnages. Et cette dernière a quelque chose de fascinant.
Avec ses longues séquences dialoguées entre deux séances d’arrosage sur le champ de bataille, le jeu s’apparente autant à un petit théâtre fantasmatique qu’à un shooter débridé. Qui (nous) parle quand ces demoiselles échangent leurs petits secrets plus ou moins absurdes ? Qu’est-ce qui se dit vraiment ici, entre cynisme crapoteux et naïveté paradoxale, dans ces tentatives de titiller le (jeune) joueur mâle tout en racontant quand même des histoires ? Plus que le fond – pas bien glorieux –, c’est la forme de ces bavardages essentiellement futiles qui fait étrangement décoller Peach Beach Splash : leur durée, leurs répétitions, leur étrange musicalité. Quelque chose se produit alors au-delà (ou en-deçà) du sens, dans cette célébration inattendue de l’art de la conversation – en et pour elle-même, jusqu’à l’absurde, jusqu’au vertige.
La singularité de Peach Beach Splash découle directement de ces moments suspendus qui viennent, non pas relativiser la position moralement gênante que nous attribue le jeu – celle de celui qui « abuse » des jeunes filles –, mais montrer qu’elle ne constitue qu’une partie de l’affaire. Peu à peu, le voyeur (éventuellement réticent) est comme aspiré par l’objet de son attention, par les mots susurrés ou piaillés, les fragments de corps presque abstraits, les yeux qui n’ouvrent sur presque rien. Peu à peu, il rejoint l’image, s’y colle, se rallie à elle. Tripoter les jeunes filles pour de faux, c’est bien gentil, mais pourquoi ne pourrait-il pas en être une lui aussi ? Avec Peach Beach Splash, il peut – un peu.
Evidemment, cela n’efface rien et ce Senran Kagura reste un titre problématique, un jeu d’exploitation sans scrupule. Mais c’est aussi un objet radical et fou dont le sens dépend en partie de ce qu’on en fait. Un truc un peu sale et bancal et heureusement équivoque. Dans le rapport de domination qu’il instaure, ne pas sous-estimer la puissance des images supposées soumises. Elles sont généralement plus fortes qu’on ne le croit.
Senran Kagura : Peach Beach Splash (Marvelous), sur PS4, environ 40 €
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