Moqué par quelques intellectuels mais très prisé de l’Internet mondial, le Harlem Shake est devenu un phénomène planétaire qu’il devient difficile d’ignorer. Reproduite dans le monde entier, la pratique semble se fonder sur de solides références artistiques, surréalisme et actionnisme viennois en tête. Se peut-il que le Harlem Shake porte un message ? Mais ouais gros.
Dimanche 24 février 2012, une version artisanale du Harlem Shake fait son apparition sur le site de partage vidéo YouTube. Enième réinterprétation du buzz planétaire, elle est l’œuvre des élèves du lycée des Pères Blancs d’El Manzah, près de Tunis. Qu’y voit-on au juste ? D’abord une opposition entre un fan de Gangnam Style et un afficionado du Harlem Shake, puis la traditionnelle folie surréaliste du shaking, phase au cours de laquelle, durant une vingtaine de secondes, des dizaines de lycéens se trémoussent dans des accoutrements improbables. Jusque là, rien que de très normalement anormal me direz-vous.
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http://www.youtube.com/watch?v=RgYah0aLz4g&feature=youtu.be
Sauf que la vidéo met en scènes plusieurs individus vêtus de fausses barbes et habillés de façon ultra-traditionnelle. Une attaque à peine masquée à l’endroit des salafistes qui minent le contexte socio-politique tunisien depuis la chute de Ben Ali. Outré, le ministre tunisien de l’Education, Abdellatif Abid, s’est emparé de l’affaire. Il a ainsi ordonné une enquête contre les lycéens harlemshakers, s’est emporté à la radio et a même promis « d’éventuelles expulsions d’élèves ou le licenciement du personnel éducatif« . En Tunisie, le manque d’humour du ministre Abdellatif Abid provoque un joli mouvement de soutien aux élèves du lycée des Pères Blancs : via Facebook, on s’organise déjà pour un Harlem Shake géant, le 1er mars prochain, devant le ministère tunisien de l’Education !
Surréalisme et actionnisme viennois au programme
Au delà de l’anecdote, surinterprète-t-on le pouvoir d’influence du Harlem Shake en lui conférant un aspect artistique voire politique ? Peut-être pas… Fin février, le très sérieux Wall Street Journal faisait découvrir le nouveau son à la mode en se posant la question suivante : Why the Harlem Shake matters ? (« Pourquoi le Harlem Shake compte ») Le papier faisait alors état de cent mille vidéos Youtube reprenant le phénomène, des vidéos comptabilisant ensemble quatre cents millions de vues. Suffisant pour s’interroger sur les fondements de cette mode planétaire…
Si à première vue, ce n’est pas la qualité musicale du sample de Baauer qui subjugue, l’impression de gigantesque fatras organisé du Harlem Shake semble largement emprunter à l’idée surréaliste. En reléguant loin la conscience et le réel pour jouer sur les fantasmes et la libération des contraintes sociétales, le Harlemshaker qui se déguise et bouge dans tous les sens paraît proche de Dali et de Breton. Se cacher derrière un masque de cochon, copuler entre islamistes, apparaître en slip : tout cela devient soudain possible dans le Harlem Shake ! A l’image du clip Cochonville de Sebastien Tellier, le Harlem Shake révèle une large part de ce que l’inconscient souhaite et désire dans la vie de tous les jours sans ne jamais pourvoir le concrétiser.
Ainsi donc, l’empreinte surréaliste est cruciale. Mais elle n’est pas seule. L’esprit de l’actionnisme viennois semble également agir. En plaçant le corps humain au centre du processus de création, en lui laissant une totale liberté d’action et d’interaction avec son environnement, le Harlem Shake est aussi actionniste. Il se veut surprenant, incongru, se vit comme une performance et devient peu à peu, à l’image de l’utilisation qu’en font les lycéens tunisiens, un instrument de LOL-contestation.
Puisque le Harlem Shake se veut bref, ne tardons pas à finir. Finissons en évoquant l’aspect un peu punk de la performance, en ce qu’elle est amatrice plutôt qu’académique et recherche constamment la vitesse : pas plus de trente secondes dans sa forme traditionnelle. Voilà qui rappellera le concept cher aux Ramones : « jouer le plus vite possible« . Hey ho, let’s go ! (Et big up aux lycéens tunisiens !)
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