Ouvert au public, le Centre international de recherche sur l’anarchisme collecte toutes sortes de documents favorables ou critiques sur le mouvement libertaire.
Avec ses lunettes rondes, sa longue et grosse barbe poivre et sel et son cigarillo au bord des lèvres, Gilbert Roth remplit parfaitement son rôle de gardien du temple. Un temple dédié aux grands noms de l’anarchisme et aux événements qui ont marqué le mouvement libertaire et philosophique du XIXème siècle. Dans la bibliothèque, montée sous de vieilles poutres en bois, les biographies et les écrits de Bakounine, Proudhon et Kropotkine côtoient les procès-verbaux de la Commune de 1871 et les centaines d’exemplaires de journaux anarchistes. Un peu plus loin, dans une cave voutée, un drapeau de 1900, brodé par des femmes de militants, affiche la fameuse devise “Ni Dieu, ni maître”. “Je peux vous assurer que ça se voit direct que c’est du fait main”, relève Gilbert Roth.
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Depuis 40 ans, le militant anarchiste et ses collègues s’emploient à trier et classer bénévolement les milliers d’ouvrages, de périodiques, de tracts, d’archives personnelles et de documents vidéo – favorables ou critiques – que récupèrent le Centre international de recherche sur l’anarchisme (Cira). Ce lieu, fondé en 1965 par une poignée de militants phocéens dont l’historien René Bianco, était à l’origine une annexe d’un premier Cira, ouvert à Genève huit ans plus tôt. « Même si à l’époque on préférait faire la révolution que de trier des archives, l’idée m’a bien plu », explique le soixante-huitard.
C’est en se spécialisation dans les cultures latines que le centre marseillais a gagné son autonomie. Mais, “la stabilité de la Suisse étant ce qu’elle est, c’est mieux d’envoyer les documents les plus rares là-bas. Ici, la situation est calme depuis longtemps mais on ne sait jamais”, indique Gilbert Roth. Aujourd’hui, le centre possède quelque 6 000 ouvrages francophones, italiens et espagnols. Un pan de la bibliothèque est même réservé aux ouvrages écrits dans d’autres langues. On y trouve une biographie en chinois du théoricien russe Pierre Kropotkine. “Il parait que Mao lisait beaucoup Kropotkine avant de devenir con”, balance le bénévole.
« Dépucelage politique »
Pour compléter ses archives, le centre se procure régulièrement les nouveaux ouvrages. “Depuis cinq, six ans, il y a 300 nouvelles publications chaque année. Je pense que face à l’échec de toutes les idéologies existantes, nous sommes encore une alternative”, estime le militant. Le Cira reçoit également les documents personnels d’anarchistes lorsque ceux-ci meurent. C’est ainsi que l’équipe a récemment récolté les milliers de documents d’un militant décédé. “Ses parents étaient aussi anars, ça fait beaucoup de choses à trier”, soupire Gilbert Roth en ouvrant le coffre de son utilitaire usé et tagué. A l’intérieur, plusieurs boîtes remplies de dossiers thématiques. Certains concernent le parcours de militants, d’autres des sujets variés comme cette chemise sur laquelle est écrit au marqueur “le vrai visage de Greenpeace”. Ca sent le complot.
Le Cira renferme également quelques pépites. Des documents – et objets – historiques et rares mis sous verre et enfermés à clef. Parmi ces perles, une boite en bois – peut-être une tabatière – ayant appartenu à Marius Jacob. C’est cet anarchiste et cambrioleur marseillais, condamné à perpétuité au bagne de Cayenne, qui a inspiré à Maurice Leblanc le célèbre personnage d’Arsène Lupin. Mais selon notre guide, il est fort probable que la boite ait été fabriquée par Eugène Camille Dieudonné, ébéniste et membre de la bande à Bonnot. “Très peu d’ébénistes sont passés par le bagne et Jacob avait plus tendance à ouvrir les coffres qu’à faire des boites”, en déduit Gilbert Roth, un brin admirateur. A côté, les procès verbaux de la Chambre des députés, datés de juillet 1894, qui concernent la discussion sur les lois scélérates – des lois votées pour réprimer le mouvement anarchiste.
“Mais c’est dommage beaucoup de documents ont été perdus. A l’époque, on ne pensait pas à ça.” Le plus gros regret du militant, ne pas avoir conservé un exemplaire de son premier tract. “C’est un dépucelage politique !” “C’était quand des taxis s’étaient fait matraquer rue Gay Lussac. J’avais imprimé les tracts à la Sorbonne et je les avais distribués à plusieurs collègues taxis et appeler à la grève”, se souvient-il.
« Dents bonnes”, “Corpulence élancée”
Aujourd’hui, le Cira attire chercheurs, étudiants, militants et descendants d’anars. C’est le cas de Monique Henry-Perrin. Cette chanteuse sexagénaire s’est rendue pour la première fois au centre, en 2006. Objectif, retrouver la trace et le parcours de son grand-père anarchiste italien. “Pour des raisons socio-historico-politique, je ne l’ai pas connu, explique-t-elle. J’ai donc attendu que ma mère meurt pour mettre les pieds là-dedans.” Dès son arrivée, Gilbert lui montre le dictionnaire biographique des anarchistes italiens, paru à Pise en 2004. Bingo, l’auteur a bien rédigé une fiche sur Guido Schiaffonati. Monique Henry apprend ainsi que son grand-père a émigré en France en 1922 pour fuir le fascisme et, lors de son séjour à Paris, l’homme s’est occupé du sort des émigrés politiques italiens. “Le Cira a été le premier maillon d’un long parcours”, dit-elle.
Pour en savoir davantage sur son grand-père, Gilbert Roth a lui aussi consulté le même dictionnaire mais sans succès. Il a finit par retrouver sa trace dans un document d’avril 1903 de la direction de la Sûreté générale du ministère de l’Intérieur. Il s’agit d’un “état signalétique confidentiel des anarchistes étrangers non expulsés résidant hors de France”. Dans la lettre C, deuxième colonne, sixième nom, Attilio Cine est ainsi décrit comme ayant des “dents bonnes” et une “corpulence élancée” mais manque de chance pour la Sûreté, l’adresse reste “inconnue”…
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