[Martin Amis est mort vendredi 19 mai à l’âge de 73 ans. À cette occasion, et pour lui rendre un dernier hommage, nous vous proposons de relire cette interview.]
Ecrivain. De passage à Paris, le romancier anglais évoque son père, l’islamisme, le politiquement correct et The Pregnant Widow, son dernier roman paru en Angleterre.
Votre dernier livre paru en France, Le Deuxième Avion, rassemble vos articles autour du 11 Septembre et de la politique anglaise. Vous semblez réserver l’actualité pour vos articles et l’histoire (l’Holocauste, le goulag, Staline) pour vos livres. Pourquoi ?
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Parce que l’impulsion d’écrire un livre n’a rien à voir avec l’écriture d’articles. La façon dont les idées et le désir vous viennent pour un livre est toujours très mystérieuse. Je n’ai pas suffisamment à dire sur le 11 Septembre pour que cela devienne un roman. Je n’ai évoqué cet événement dans un livre qu’en 2003, dans Chien jaune, et très brièvement, pour parler un peu des changements qui ont surgi dans notre vie quotidienne. Je me souviens que quelques jours après, je ne comprenais pas pourquoi les gens avaient encore besoin d’obéir à des choses triviales, les feux rouges par exemple. Tout cela me semblait dérisoire. Mais pour tout vous dire, on ne décide jamais d’écrire au sujet de l’Holocauste ou d’autre chose, ça vient tout seul…
Vous semblez particulièrement travaillé par l’Union soviétique, qui traverse deux de vos livres, Koba the Dread et La Maison des rencontres.
C’est parce que mon père, l’écrivain Kingsley Amis, a été communiste jusqu’en 1956, alors que j’avais 7 ans. Je n’ai jamais compris en quoi l’utopie communiste pouvait être attirante. Après, il est devenu anticommuniste, ce qui est encore une autre forme d’idéologie. La grande différence entre nous, c’est que je n’ai jamais eu confiance en l’idéologie, quelle qu’elle soit. Toute idéologie comporte quelque chose de très violent. Nous nous disputions beaucoup, d’autant qu’à la fin de sa vie, il était pour la guerre du Vietnam. C’est la raison pour laquelle, jeune homme, je suis devenu apolitique. Je n’ai jamais voulu et je ne veux toujours pas “appartenir”…
Aujourd’hui encore, je ne me sens pas faire partie de quoi que ce soit. C’est trop réducteur. Si vous dites que vous êtes contre les talibans, les gens pensent que vous êtes pro-Israël. Les gens ne pensent pas, mais réagissent en fonction de “package” d’idées. Ils sont incapables de reconnaître que vous êtes un esprit indépendant et que vous ne prenez pas position. C’est pourtant mon cas : je dis juste ce que je pense.
Vous avez été accusé de racisme quand vous avez critiqué l’islamisme…
Les régimes islamistes sont impérialistes, dictatoriaux, misogynes, homophobes… comment la gauche peut-elle trouver ça bien ? Sauf que si je dis ça, je vais être accusé d’être de droite. Toujours le même “package” d’idées simplistes.
Vous avez voté à gauche ?
Comme toujours. Je ne voterai jamais conservateur. Mais s’intéresser à la politique anglaise aujourd’hui demande un effort surhumain. L’Angleterre n’a plus d’influence sur le cours du monde contemporain.
Pourquoi situer votre dernier roman The Pregnant Widow en pleine révolution sexuelle ?
Avec l’âge, on se demande quels sont les bouleversements historiques qu’on a traversés de son vivant. Et la révolution sexuelle a été le plus grand changement social auquel j’ai assisté. C’était une révolution de velours, mais qui a blessé certaines personnes : ma soeur, par exemple, ne s’en est jamais remise, et d’une certaine façon, elle en est morte. Cette mutation a traumatisé tout le monde, tellement le changement était énorme.
The Pregnant Widow est un roman autobiographique, où le jeune protagoniste pense beaucoup au sexe, sans vraiment faire l’amour. Il est très difficile d’écrire une scène de sexe qui se passe très bien, plus facile de réussir une scène de sexe ratée, parce que c’est drôle, grotesque. La seule scène de sexe de mon livre fait trois pages, et je n’ai pu l’écrire que parce qu’elle est purement pornographique.
Martin Amis est publié par Gallimard. La sortie en France de The Pregnant Widow est prévue pour février 2012.
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