Pour retrouver la passion authentique de l’amour, Falk Richter et Anouk van Dijk en appellent dans Rausch à la révolution anticapitaliste. Un spectacle qui ne manque pas d’élan, mais trop simpliste dans sa vision de la société pour convaincre vraiment.
L’aliénation a de beaux jours devant elle. Surtout quand ce n’est pas seulement dans le monde du travail qu’elle sévit, mais au sein de la vie de couple. « C’est peut-être une erreur dans l’histoire humaine de croire qu’on peut vivre heureux à deux ? » Peut-être bien, en effet. Il y a quelque chose de charmant dans la naïveté de ce constat sans doute aussi ancien que l’histoire humaine. Rausch, quatrième spectacle du metteur en scène Falk Richter et de la chorégraphe Anouk van Dijk ne craint pas d’enfoncer allègrement quelques portes ouvertes. Très physique, alternant danse et jeu, cette incursion dans la question du couple à l’heure de Facebook lie le problème amoureux aux errances du capitalisme financier contemporain. Le rapport de cause à effet n’est pourtant pas si évident. Posé de cette façon le problème évoque même le traitement de sujets de société en vogue dans les magazines de mode.
On a donc, par exemple, un type malheureux comme les pierres parce que sa copine persiste à afficher « célibataire » sur sa page Facebook alors que lui a changé son statut pour « en couple ». Drame. L’homme est totalement déboussolé par la liberté insolente de sa partenaire. Mais que veut-il exactement ? Ils consultent un psychothérapeute. Au passage, on découvre que l’aimée interprète sa relation de couple comme un travail.
Le psy suggère que le type accorde plus d’espace de liberté à sa compagne. Bon, tout ça n’est pas énoncé de façon linéaire, mais s’intègre dans un ensemble chorégraphié – entre duos et mouvements collectifs – qui permet une forme de distanciation sans pour autant atténuer le sentiment de premier degré quelque peu déconcertant du texte de Falk Richter qu’on a connu plus mordant et inspiré dans des spectacles comme Unter Eis ou My Secret Garden. Certes quand le type lui dit « je t’aime » et que la femme répond qu’elle attend mieux de sa part que ce genre de lieu commun, l’ironie fonctionne. Comme si les « like » de Facebook s’interposaient dans leur relation.
De là à dire que l’ennemi, c’est Facebook, il n’y a qu’un pas. Richter le franchit allègrement. Facebook n’est-elle pas une entreprise cotée en bourse ? C’est donc la finance qui s’interpose dans les rapports de couple. CQFD. Pour sauver l’amour, une solution, il faut faire la révolution. C’est quand même mieux de pleurer en recevant des gaz lacrymogènes que de pleurnicher bêtement sur son sort. D’autant que la révolution est aussi une façon de renouer avec le romantisme et ainsi de se reconnecter avec un sentiment amoureux authentique non médiatisé par cet espace fallacieux qu’est Facebook.
« Ce territoire entre toi et moi est un lieu pour la spéculation », énonce sentencieusement l’homme vers la fin de ce spectacle hélas trop simpliste pour convaincre vraiment. C’est d’autant plus dommage que le titre même de cette création, Rausch, promettait beaucoup. Traduit en français par « ivresse », ce mot allemand renvoie à l’idée de passion dévorante, d’élan impétueux, mais aussi de débordements dionysiaques. Selon Falk Richter, sous forme de compulsions d’achats, de griserie boursière ou de workaholisme, cette ivresse est aujourd’hui récupérée par un capitalisme pernicieux dont la ruse est de s’immiscer au cœur même de nos comportements les plus intimes. Il est incontestable que la société de consommation sait mieux que jamais s’adresser à notre cerveau reptilien pour stimuler toutes sortes de comportements addictifs. Pour autant la dénonciation qu’en fait Richter dans ce spectacle, qui recèle malgré tout de véritables beaux moments, est trop sommaire. La ficelle qui consiste à en appeler à une révolution pour changer l’ordre du monde est vraiment trop grosse. Méfions-nous des utopies de pacotille qui n’existent qu’entre les murs des théâtres. Il y sûrement d’autres façons de résister.
Hugues Le Tanneur
Rausch, de et par Falk Richter et Anouk van Dijk, avec Peter Cseri, Lea Draeger, Cédric Eeckhout, Birgit Gunzi, Philipp Fricke, Jussi Noussiainen, Angi Lau, Gregor Löbel, Stevn Michel, Aleksander Radenkovic, Jorijn Vriesendorp, Thomas Wodianka, Nina Wollny. Musique : Ben Frost. Jusqu’au 23 juillet Cour du Lycée Saint-Joseph. Avignon. Dans le cadre du festival d’Avignon.