La Hab galerie propose un choix d’oeuvres de Felice Varini. Une rétrospective ? Non, une “activation” de son travail. Visite en compagnie de l’artiste peintre.
« Je suis rassuré pour les prochains quarante-cinq ans !”, lance d’emblée l’artiste suisse né en 1952, installé à Paris depuis 1978. Ce qui rassure ce pape de l’anamorphose qui a essaimé ses motifs optiques et géométriques un peu partout en France et en Europe, c’est la capacité qu’ont ses oeuvres à intégrer l’espace muséal, ce fameux “white cube”, et à ainsi trouver une forme d’autonomie qu’il ne leur reconnaissait pas jusqu’alors. Comprenez bien : jusqu’ici ce sont surtout les lieux et les contraintes architecturales qui généraient l’apparition des formes colorées et abstraites de Varini. Les arrêtes d’une pièce, un jeu d’angles ou encore la perspective dessinée par un entrepôt du port de Saint-Nazaire sur laquelle il vient apposer, en 2007, à l’invitation d’Estuaire, une immense composition de triangles rouge vermillon dont le dessin se perçoit depuis un point de vue unique, sur la terrasse panoramique qui lui fait face.
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Avec cette invitation de David Moinard, directeur artistique du Voyage à Nantes, un prolongement d’Estuaire, Felice Varini s’aventure sur une piste inconnue : celle de la rétrospective, ou plutôt, comme il préfère le dire, d’une rétrospective-prospective. “Lorsqu’on réactualise le Requiem de Mozart ou une pièce de Beckett, on ne parle pas de rétrospective. C’est la même chose ici, je suis dans une activation de mon travail”, estime l’artiste qui, pour l’occasion, a demandé à une agence d’architecture de dessiner une scénographie ajourée permettant “d’intégrer les conditions nécessaires à chaque pièce”. Objectif : redonner vie, dans un espace au départ “sans qualité”, à une vingtaine d’oeuvres réalisées entre 1980 et aujourd’hui. Celle qui ouvre le bal est saisissante, qui rappelle le motif de Saint-Nazaire et embrasse la totalité de l’espace. Visible dans sa forme complète depuis un point de vue unique situé à l’entrée, elle se prolonge et s’éclate dans tout le reste de l’exposition, contaminant ainsi les autres formes.
A l’intérieur du dédale imaginé par les architectes en fonction de certains critères techniques (espacement des cimaises, angles précis, etc.), c’est un festival de couleurs et de perspectives qui se joue sous nos yeux.
“Je suis moi-même étonné de voir comment les choses se répondent entre elles, sur des époques totalement différentes. J’ai des vibrations incroyables, je retrouve des pièces que je n’avais jamais revues. Notamment la plus ancienne qui date de 1980. C’est bien elle !”
Cette oeuvre rejoue l’enfilade de chambres de bonnes dans laquelle elle avait été originellement construite. Peint en bleu vif, cet environnement pénétrable se peuple de formes raides jaune poussin et se prolonge jusqu’à une dernière cimaise.
“Les proportions importent peu si ce n’est qu’il y a des conditions minimum, une distance par rapport au point d’impact à respecter. Surtout, ici, en rejouant la pièce, je me permet de prolonger le bleu sur le mur du fond. Une fois que l’on quitte le point de vue et que l’on avance dans la pièce, se dessine peu à peu un tableau abstrait. Ça fait partie des bonnes surprises de l’exposition.”
Le premier motif, une ligne jaune qui barre l’espace, Varini l’a d’abord réalisé “à l’oeil” : “Ça m’a pris deux semaines et le résultat est imparfait. J’ai très vite réglé cette question de la méthode et travaille, depuis, avec des projections. Un peu comme lorsque le soleil crée une ombre et que sa position crée la ligne conséquente à l’accident.” Aujourd’hui encore, la technique est la même, confirmée par la poignée d’assistants venus épauler Varini : à l’aide d’un projecteur ils dessinent au scotch et au crayon le périmètre de l’immense pièce venue clore l’exposition.
Au fur et à mesure de notre progression, la visite est une plongée continue dans l’abstraction et la couleur. “La définition de la couleur est totalement arbitraire, mais étant donné la richesse des espaces que j’investis, je travaille volontairement avec une palette réduite, les couleurs primaires, le noir et le blanc”, décrypte Varini, avant d’ajouter : “Ceci dit, une couleur dès qu’elle va dans l’espace, c’est mille couleurs. Elle est influencée par la luminosité, les effets de surface.”
Reste que cette exposition, une première pour l’artiste, permet surtout un extraordinaire voyage dans le temps. Armé de son téléphone portable depuis lequel il accède à son site qui répertorie l’ensemble de ses oeuvres depuis les années 80 (“J’ai tout de suite travaillé avec un photographe professionnel”, précise l’artiste qui a ainsi constitué une incroyable base d’archives de son propre travail), Varini fait l’historique de chaque pièce rejouée dans l’expo :
“Ici, nous sommes en 1982 à l’usine Pali-Kao, une usine désaffectée implantée dans le quartier Couronnes, à Paris, qui connaissait alors une vraie mutation. Avec des artistes comme Christophe Cuzin ou Bruno Rousselot que j’ai rencontrés à la fac de Vincennes, nous avions obtenu un bail précaire de deux ans.”
Plus loin :
“Là, nous sommes en 1992, dans une exposition au Consortium de Dijon. J’avais investi une niche que l’équipe du Consortium a d’ailleurs reconstituée dans le nouvel espace qu’ils ont inauguré il y a un an. Il s’agit d’une grande ellipse qui, lorsque nous sommes à l’intérieur de la niche, vient confirmer l’encadrement des murs, mais se prolonge dès que nous en sortons.”
Ailleurs, nous traverserons les salles reconstituées pour les besoins de chaque oeuvre, celles du musée de Vence, du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’intérieur de collectionneurs bordelais et encore un grand appartement haussmannien que Varini et ses amis avaient investi en 1985. Dans cet espace de 300 mètres carrés entièrement vide, seul trônait encore un piano à queue que Felice Varini a naturellement “intégré” : “Ce piano emmerdait tout le monde, je l’ai fait “disparaître” dans ma peinture.” Ailleurs, c’est un porte-chapeau, qui se trouvait là lui aussi bien avant l’arrivée de l’artiste, qui a été absorbé dans la composition picturale.
“Il n’y a pas de parcours, les visiteurs sont invités à se perdre”, conclut avec délectation l’artiste qui est passé dans sa jeunesse par le théâtre, alors qu’il était encore à Genève. “Cette expérience de la scène a été constituante de mon travail. Elle m’a aidé à préciser ce que je voulais faire avec la peinture.” Une peinture participative donc, qui prend en charge le spectateur.
Claire Moulène
Felice Varini jusqu’au 1er septembre à la Hab Galerie, 21, quai des Antilles
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