Lauréate du prix Daniel Toscan du Plantier pour la deuxième fois consécutive, couronnée aux César grâce à “Timbuktu”, la productrice Sylvie Pialat est l’une des grandes gagnantes du cinéma d’auteur français de ces dernières années.
Sylvie Pialat a la voix brumeuse des lendemains de fête ce 21 février. Jusque tard dans la nuit, la productrice a célébré le sacre de son dernier film, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako, qui a survolé la cérémonie des César, remportant sept statuettes dont celles de meilleur film et de meilleur réalisateur.
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“C’est énorme, dit-elle, encore hagarde. A partir du moment où le film a reçu des César techniques, comme le meilleur son, on a compris que quelque chose se passait. Mais sept récompenses, vraiment, personne ne s’y attendait.” Déjà couronné du prix Lumières du meilleur film francophone, Timbuktu poursuit ainsi sa belle carrière amorcée au Festival de Cannes en 2014, et confirmée dans les salles, où il a réuni près de 760 000 curieux, en attendant de nouvelles entrées provoquées par l’effet César.
Un succès étonnant pour ce drame franco-mauritanien, que la productrice attribue au sujet (la chronique d’un village pris en otage par des jihadistes) et à une part d’irrationnel : “Il y a un lien magique qui s’est créé entre le film et le public, pense-t-elle. Timbuktu raconte une histoire de résistance collective, qui passe par des petits gestes, des efforts quotidiens. Et je crois que les gens sont sensibles à l’idée de résistance aujourd’hui.” Le film a eu moins de chance aux oscars dimanche soir, où il concourait pour le prix du meilleur film étranger (finalement attribué à Ida), mais qu’importe : “On y va pour s’amuser, comme des gosses, nous assurait la productrice. Là, c’est juste du bonus.”
Reconnue par ses pairs
Quelques jours auparavant, la folle semaine de Sylvie Pialat débutait à l’hôtel George-V, à Paris, où elle recevait le prix Daniel Toscan du Plantier, qui honore le travail d’un producteur français. Elle avait déjà obtenu la récompense l’année dernière pour L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, et ne cache pas sa fierté : “La production est un milieu où l’on se sent parfois seul, alors c’est important d’être reconnue par ses pairs”, dit-elle. Le nom du prix a aussi une résonance particulière pour cette brune hyperactive de 54 ans : c’est avec Daniel Toscan du Plantier, le fidèle producteur de Maurice Pialat, qu’elle découvrit les secrets de son métier.
Débarquée au cinéma un peu par hasard au début des années 80, après avoir lâché le concours de Normale Sup, celle qui s’appelait encore Sylvie Danton fit ses premières gammes dans des courts métrages de l’Idhec (l’ancêtre de la Fémis) avant sa rencontre décisive avec Pialat sur le tournage d’A nos amours, où elle fut embauchée comme régisseuse. Elle avait alors 22 ans, et devint jusqu’à la fin la compagne et proche collaboratrice du cinéaste, occupant les postes de coscénariste, monteuse, etc.
“En vivant avec Pialat, forcément, on se retrouvait à faire beaucoup de choses. J’étais en première ligne, au courant de toutes les emmerdes. Et les emmerdes, c’est toujours de la production.” Aux côtés du cinéaste et de son producteur, Daniel Toscan du Plantier, elle s’initie pendant près de vingt ans aux coulisses du cinéma : “J’ai tout appris en observant leur duo fonctionner, se souvient-elle. J’ai compris grâce à Daniel comment faire du cinéma en riant, et ce que la production signifiait : être tout le temps disponible pour les metteurs en scène, être là entre les films, pour parler, pour que ça tourne !”
“Je n’ai aucune velléité artistique”
Quelques mois après la mort de Maurice Pialat, en 2003, elle monte sa société de production, Les Films du Worso, fondée sur un principe simple : “l’accompagnement”. “Je ne me sens pas du tout auteur, dit-elle. Moi, je suis là pour aider les metteurs en scène. Je n’ai aucune velléité artistique et je pense qu’il vaut mieux avoir réglé ce problème d’ego si l’on veut faire de la production.”
Elle se verrait plutôt comme une alliée des cinéastes, parfois grande gueule, autoritaire, mais toujours au service de leurs désirs. “Sylvie a une connaissance sensible et intime des auteurs, nous confirme Abderrahmane Sissako. Pendant le tournage de Timbuktu, elle était toujours présente, sans chercher à s’imposer ou à phagocyter ma vision.”
“Et elle n’hésite pas à prendre des risques, ajoute Guillaume Nicloux. Pour mon dernier film (L’Enlèvement de Michel Houellebecq – ndlr), je suis arrivé avec trente pages de scénario et elle est partie à la chasse aux financements comme ça, presque à poil. Elle y va à l’énergie.”
Sans ligne éditoriale particulière, sans non plus chercher à tout prix le succès commercial, Sylvie Pialat dit qu’elle fonde ses activités sur les défis et son “goût des rencontres” avec des metteurs en scène, “des artistes pour qui faire un film est une nécessité impérieuse, un truc qui vient des tripes”.
Mais sa stratégie n’a pas toujours été payante. En 2011, après sept années passées à produire sans succès de jeunes auteurs français (Julie Gavras, Sébastien Betbeder, Nicolas Boukhrief), sa société frôle la faillite. Avec un déficit “monstrueux”, qu’aggrave encore l’annulation de films ambitieux (un projet de Lodge Kerrigan, un autre de Nicolas Boukhrief), Sylvie Pialat pense mettre la clé sous la porte jusqu’à ce qu’un investisseur privé la sauve de la banqueroute.
“Un tempérament d’aventurière”
Depuis lors, la productrice semble avoir trouvé la clé de la réussite, enchaînant deux succès critiques et publics avec des films d’auteur aux sujets pas vraiment mainstream : L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie (130 000 entrées) et Timbuktu. L’aboutissement d’une méthode de production, ou d’une formule ? Sylvie Pialat conteste : “Il n’y a pas de recette miracle. J’ai dû apprendre, avancer, rencontrer les bons cinéastes avec qui travailler. Les derniers succès consacrent plutôt une nature qu’une méthode.”
Cette nature, Abderrahmane Sissako pense en connaître le secret : “Sylvie a un tempérament d’aventurière, dit-il. Elle se lance à l’intuition dans des projets risqués, sans calculer son temps ni ses possibles pertes.” Après douze ans d’activité, celle qui se définit comme une “jeune productrice” entend donc poursuivre sa route dans le cinéma du milieu, cette catégorie de films compris entre 3 et 7 millions d’euros de budget dont on annonce chaque année l’appauvrissement.
“Les gens qui se plaignent dans ce métier me font chier, lâche-t-elle. Ce n’est pas simple, il faut se battre sur tout, mais l’important est que l’on continue à produire beaucoup de films. Je ne vois pas le problème si l’on fait de plus en plus de films à moins de 2 millions d’euros, tant que ça vit.”
Ces prochains mois, elle se consacrera à la sortie de ses nouveaux projets : les derniers films de Joachim Lafosse, de Guillaume Nicloux, Corneliu Porumboiu, Lucile Hadzihalilovic, et la préparation du prochain Alain Guiraudie (Rester vertical), dont elle ne veut rien dévoiler, sinon qu’il aura un budget supérieur à L’Inconnu du lac. “Un autre défi”, comme elle dit.
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