Austérité de la mise, sobriété de la prose et opacité de la pensée – rien, chez J. M. Coetzee, ne signale en apparence le joyeux drille. Soupçonner le lauréat d’un prix Nobel de littérature d’être un farceur relève a priori de l’hérésie, mâtinée de mauvais esprit. Et si, pourtant, un plaisantin se cachait sous cette mine sévère ? Un amateur de jeux de masques, […]
En confrontant un pédagogue rationaliste aux mystères du sexe et de l’art, J. M. Coetzee signe une malicieuse comédie du désir.
Austérité de la mise, sobriété de la prose et opacité de la pensée – rien, chez J. M. Coetzee, ne signale en apparence le joyeux drille. Soupçonner le lauréat d’un prix Nobel de littérature d’être un farceur relève a priori de l’hérésie, mâtinée de mauvais esprit. Et si, pourtant, un plaisantin se cachait sous cette mine sévère ? Un amateur de jeux de masques, susceptible, dans son nouveau livre, de faire d’une comédie du désir le moteur d’une parabole aux enjeux de prime abord insaisissables ?
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Epris de tempérance, le personnage central des deux derniers romans de Coetzee – L’Education de Jésus apportant une suite à Une enfance de Jésus, paru en 2013 – voit dans les relations sexuelles “une chose déraisonnable – déraisonnable et frivole”. C’est du moins en ces termes que lui, Simon, met en garde son fils adoptif, David.
Mais quand la quête d’une école convenant à cet enfant prodige amène Simon à rencontrer une danseuse aux longues jambes et à la taille étroite, Ana Magdalena Arroyo – patronyme d’origine espagnole se traduisant par “ruisseau” en français et par “Bach” en allemand –, une odeur de soufre annonce l’irruption d’un nouveau personnage, Dmitri. Lequel, intarissable apôtre de la “passion”, va s’attirer les bonnes grâces de David, violer et étrangler Ana Magdalena, soûler ses juges à force de lyrisme et emprunter dans sa cavale les vêtements de Simon – “ils ont la même taille, mais Dmitri est plus large d’épaules, de torse, de hanches” – puis s’accrocher à lui comme un sparadrap au capitaine Haddock. Ou comme un Mr Hyde, reflet de ses pulsions refoulées.
Tribulations métaphysiques
Mis à mal par les ruses d’Eros, le rationalisme de Simon le sera également par les mystères de l’art. Après avoir qualifié de “bêtises mystiques” les théories d’Ana Magdalena, il tente, à la dernière page, de les mettre en pratique et de combler ainsi par la danse, “la distance qui baille entre les étoiles et nous”.
Pour baliser le chemin de croix auquel il condamne le cartésianisme, Coetzee déniche dans d’antiques registres – dialogue socratique, digressions philosophiques, pastiche de roman russe – un potentiel comique insoupçonné : au mode de vie “sans sel ni ironie” de son précèdent ouvrage succèdent des tribulations métaphysiques d’une drôlerie bienvenue.
L’Education de Jésus (Seuil), traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Georges Lory, 328 pages, 21 €
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