Ne vous fiez pas à sa silhouette de rêveur à la Peter Pan, Krzysztof Warlikowski est un boulimique de travail qui bouscule notre approche du répertoire de l’opéra en l’accordant au prisme radical de ses visions. Un marathonien du lyrique qui, en juillet, a créé Les Stigmatisés, de Franz Schreker, au Festival d’opéra de Munich, avant d’enchaîner, en août, […]
Avec Jonas Kaufmann dans le rôle-titre, la version française de l’opéra de Verdi devrait faire date. Krzysztof Warlikowski nous a dévoilé ses pistes de travail lors des répétitions.
Ne vous fiez pas à sa silhouette de rêveur à la Peter Pan, Krzysztof Warlikowski est un boulimique de travail qui bouscule notre approche du répertoire de l’opéra en l’accordant au prisme radical de ses visions. Un marathonien du lyrique qui, en juillet, a créé Les Stigmatisés, de Franz Schreker, au Festival d’opéra de Munich, avant d’enchaîner, en août, avec une mise en scène de Pelléas et Mélisande de Debussy dans le cadre du festival de la Ruhrtriennale.
A Paris, depuis le début du mois de septembre, le metteur en scène polonais est à pied d’œuvre pour travailler à l’événement de cette rentrée lyrique : la version originale en français de Don Carlos de Verdi, sous la direction du chef Philippe Jordan. Une production d’exception qui réunit sur son plateau la crème des chanteurs avec Jonas Kaufmann, Sonya Yoncheva, Ildar Abdrazakov et Ludovic Tézier pour ne citer qu’eux.
“Cela fait seulement quatre jours que l’on travaille dans le décor”
A quatre semaines de la première, l’artiste a accepté de nous ouvrir l’une de ses premières séances de travail sur la scène de l’Opéra Bastille. On découvre la beauté austère d’un décor à géométrie variable. Avec ses immenses portes aux allures de guillotines, le palais espagnol conçu par la scénographe Malgorzata Szczesniak est une précieuse marqueterie de bois capable de se transformer en un amphithéâtre parlementaire, une salle d’escrime, une salle de cinéma.
“Cela fait seulement quatre jours que l’on travaille dans le décor, annonce Krzysztof Warlikowski. On doit se familiariser avec son fonctionnement pour fluidifier les mouvements d’un chœur réunissant jusqu’à 90 interprètes en plus des chanteurs des rôles principaux.”
Disparu de la version italienne qui se joue habituellement, le premier acte réunit, lors d’une partie de chasse à Fontainebleau, les amants contrariés que sont Don Carlos, l’infant d’Espagne, et la princesse française Elisabeth de Valois qui lui est promise.
“Pour moi, l’opéra commence et se finit dans la tête de Carlos”
“Cet acte est devenu mythique, je le traite comme un souvenir qui se reconstruit dans l’esprit de Don Carlos, précise Krzysztof Warlikowski. Il n’y a pas de musique. Ça débute dans le silence. Le tableau s’organise mentalement et, tout d’un coup, ça démarre. Pour moi, l’opéra commence et se finit dans la tête de Carlos.”
Hanté par le fantôme de l’aïeul qu’est l’empereur Charles Quint, l’opéra interroge l’histoire et l’intime d’une dynastie devenue maudite quand le roi Philippe II décide de prendre pour épouse celle qu’il devait marier à son fils.
Jonas Kaufmann campe un Don Carlos en jean et hoodie framboise
Hasard du calendrier du planning des répétitions, on passe, après la pause, au débroussaillage du finale de l’acte V. Tous sont en costume de ville. Tandis que Sonya Yoncheva, qui incarne Elisabeth, se libère d’une prison de grillages pour rejoindre celui qu’elle aime, Jonas Kaufmann campe un Don Carlos en jean et hoodie framboise – une image surréaliste dont on se souviendra longtemps.
Avançant vers l’avant-scène, suivi par le vieil homme qui interprète le spectre de Charles Quint, le voici tombant à genoux et pointant le canon d’un pistolet sur sa tempe. On s’inquiète de savoir comment en rendre compte sans spoiler le caractère dramatique de ce dénouement.
“Don Carlos est pour moi un personnage proche de Hamlet. Sauf qu’au final, il n’est pas le seul à voir des fantômes, s’amuse Krzysztof Warlikowski. Pour moi, la scène n’est pas encore finie. Je ne pense pas qu’on verra le suicide, mais juste l’instant d’avant. Je ne veux pas voir le corps tomber. Peut-être qu’on coupera la lumière pour signifier la mort, mais on n’entendra certainement pas de détonation. »
« Ma première hypothèse, en faisant apparaître le spectre à ce moment-là, est de me dire qu’il vient l’aider à en finir. Donc, d’une certaine manière, à le sauver. Mais peut-être veut-il au contraire l’empêcher de se suicider ? Je ne sais pas encore.” En attendant la première, l’énigme de la fin reste entière.
Don Carlos Opéra de Verdi, direction musicale Philippe Jordan, mise en scène Krzysztof Warlikowski, en français surtitré en français et en anglais, du 10 octobre au 11 novembre à l’Opéra Bastille, Paris XIIe