Cher ? Inaccessible ? Poussiéreux ? A Berlin, le Kiez Oper (l’opéra du quartier) s’est débarrassé de ces qualificatifs qui poussent la plupart des jeunes à ne pas envisager l’art lyrique comme sortie potentielle.
Les deux fondateurs du Kiez Oper, Alex J. Eccleston et Rowan Hellier organisent des représentations dans des lieux qui n’ont jamais vu l’ombre d’un opéra : les deux premières ont eu lieu dans des clubs électro, le Zur Wilden Renate et le Stattbad Wedding, et la prochaine se tiendra dans une usine abandonnée dans laquelle sont régulièrement organisées des soirées branchées. « Quand je suis sur scène, je me demande souvent pour qui je chante », raconte Rowan, mezzo-soprano professionnelle.
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« La plupart du temps, ce sont des gens qui ne sont pas mes pairs, pas de ma génération, avec qui je n’ai rien en commun. J’avais envie de sortir l’opéra de Charlottenburg, quartier bourgeois où il était coincé, j’en ai parlé à Alex, et dès le lendemain on appelait le Zur Wilden Renate ».
Le club est enthousiaste, et ils arrêtent deux dates moins d’un mois plus tard. Ce sera Didon et Enée, opéra d’Henry Purcell, qu’ils montent avec les collègues du Berlin Staatsoper de Rowan. Pour se rendre la tâche plus commode, l’Anglais et l’Ecossaise choisissent un livret anglophone : ici, pas de sur-titres, il faut s’assurer que le public peut suivre le récit. Le pari est tenu : les deux soirs sont complets et le public emballé.
La promotion se fait par les canaux habituellement exploités par ces clubs, pour toucher cette population plutôt que celle coutumière de l’opéra. « La plupart des gens qui viennent à nos événements n’ont jamais vu d’opéra auparavant », se félicite Rowan. Et la relation au public est toute différente : dépourvus de scène à proprement parler, les chanteurs jouent autour, au dessus, à côté du public qui n’a pas non plus de gradins et se trouve une place où il peut. Et les artistes doivent se passer d’un périmètre de sécurité rassurant.
« Pour nous, c’est beaucoup plus viscéral de chanter dans ces conditions. Il y a une certaine incertitude avec le public des clubs, on ressent une forme de danger. On ne peut pas supposer qu’ils seront emportés par la narration, il faut les prendre par la main, pas à pas, par notre jeu et notre émotion ».
Et l’opéra de retrouver, comme à ses débuts, un public réactif, populaire et passionné.
Pour la prochaine représentation, le duo a décidé de porter son projet encore plus loin. Kiez Oper devient Kiez Kupala, du nom d’une fête traditionnelle païenne slave et de sa déesse des herbes, de la magie et du sexe. Mais sans oublier la musique : la soirée débutera avec une représentation d’Acis et Galatée, l’opéra de Georg Friedrich Haendel selon la légende des Métamorphoses d’Ovide, sous la baguette du chef d’orchestre australien Benjamin Bayl. Les neuf chanteurs baroques laisseront ensuite place à un brass-band, un artiste-performer burlesque, ou encore un peintre sur corps. « A chaque représentation nous gagnons en ambition, et on a voulu tout donner cette fois-ci », explique Alex, enthousiaste. « L’une des choses les plus agréables à Berlin, c’est son été et sa culture des open-air, qu’on a voulu porter au-delà de la techno qui l’habite d’habitude ». C’est une usine abandonnée sur les bords du canal à Neukölln, la Griessmuehle (moulin à semoule), qui accueille régulièrement des soirées électro, qui sera cette fois-ci le théâtre de cette célébration du solstice d’été.
Alors qu’à la deuxième représentation, Alex et Rowan pensaient que le Kiez Oper ne pouvait exister que dans une ville à la liberté de Berlin, ils sont agréablement surpris de se démentir eux-mêmes avec l’organisation d’une représentation de Didon et Enée au festival Wilderness en Angleterre au mois d’août. « Maintenant, on aimerait tourner partout en Europe », confie Alex.
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