Premier artiste associé d’Avignon en 2004, Thomas Ostermeier a choisi pour honorer les dix ans de Vincent Baudriller et Hortense Archambault à la tête du festival, de présenter un film documentaire qu’il cosigne avec Nicolas Klotz : Hamlet en Palestine.
Le 4 avril 2011, le directeur du Freedom Theatre de Jenine, Juliano Mer-Khamis a été abattu dans sa voiture devant son théâtre, protégeant dans un dernier geste son enfant dans ses bras, qui a survécu à l’assassinat. Le metteur en scène, né d’une mère juive et d’un père palestinien, avait quitté Tel-Aviv pour ouvrir dans le camp de réfugiés de Jénine en Cisjordanie un théâtre pour enfants.
Histoire d’amour et d’amitié, enquête policière, avec comme fil rouge la mise en perspective permanente d’Hamlet de Shakespeare, le documentaire de Thomas Ostermeier et Nicolas Klotz sur le workshop et la tournée de la pièce à Ramallah nous plonge, une heure et demie durant, dans l’inextricable conflit israélo-palestinien. Pourquoi a-t-on tué Juliano Mer-Khamis ? Cet homme libre qui, au final, dérangeait autant l’autorité palestienne que le gouvernement israélien, comme s’il était le seul à échapper au carcan de la chappe de plomb paralysante qui oblige à prendre parti, à vivre dans la peur, pour les uns, sous la pression des terroristes, pour les autres, de l’occupation militaire.
Thomas Ostermeier a décidé d’enquêter à sa manière, tel Horatio, l’ami d’Hamlet, et tout en cherchant la vérité, il dessine le portrait de celui qui n’avait comme seule religion que de permettre aux autres de mieux vivre ensemble. A la question d’“être ou ne pas être”, Juliano choisissait toujours de vivre l’instant, lui qui disait qu’il ne quitterait pas Jénine vivant et qu’un jour, une balle mettrait un terme à son existence et sa mission. Il disait : “Le théâtre est un lieu où l’on peut rêver. Or, ici, on ne rêve pas. Le désespoir ne pousse pas à la résistance, seulement aux attentats suicides.”
Thomas Ostermeier et Nicolas Klotz ont choisi de présenter pour la première fois ce film en Avignon dans le cadre des Artistes un jour au festival. Avant la projection, Nicolas Klotz précise que pour finaliser le montage et en l’absence de connexion internet d’un débit suffisant, il a dû le terminer dans la cabine de projection du cinéma Utopia, le seul endroit d’Avignon où il disposait des ressources nécessaires pour parachever son ouvrage. L’anecdote n’est pas innocente au regard des mille et une difficultés que représente le fait d’enquêter sur un crime avec comme seule question aux lèvres, “qui a tué ?”, à l’adresse de toutes les personnes interviewées : directeur artistique du théâtre de Jénine, journaliste à Haaretz, un ex terroriste repenti et grâcié, ami de Juliano, rencontré dans une prison où on l’a convaincu de rester pour sa propre sécurité.
Mais, Hamlet en Palestine va plus loin encore. L’enquête d’un ami sur la mort d’un ami n’empêche rien et l’un des plus beaux moments du film, c’est cette question posée par Thomas Ostermeier aux élèves de son workshop : “Dans quel sentiment es-tu quand tu dis “être ou ne pas être” ?” Un des jeunes acteurs répond : “La colère”. Et Thomas lui explique alors que sur scène, il n’a que des ennemis, les autres personnages, et que ses seuls amis sont les spectateurs. Il ajoute : “A la question ‘être ou ne pas être’, si tu es un bon acteur, le public te répondra.” Le film, désormais, et c’est le souhait de Thomas Ostermeier, suivra les tournées de la Schaubühne de Berlin à travers le monde et perpétuera le rêve de Juliano.
Fabienne Arvers et Patrick Sourd
Hamlet en Palestine, un film de Nicolas Klotz et Thomas Ostermeier