Acteur à 4 ans, star à 10, retraité à 14 : retour sur le parcours hors norme de Macaulay Culkin, enfant chéri de l’Amérique avec « Maman, j’ai raté l’avion », aujourd’hui quasiment disparu des écrans radars.
Enveloppé d’une gabardine noire, blond et pâle, le jeune homme arpente les trottoirs parisiens du Xe arrondissement. Parce qu’il nous a semblé le reconnaître, on le suit, glissant devant les devantures vitrées des coiffeurs africains entre Château-d’Eau et Strasbourg- Saint-Denis. Pourtant, personne sinon nous ne se retourne sur son passage, ni n’identifie celui qui fut, il y a vingt ans, dans le top 5 des acteurs les mieux payés d’Hollywood. Nul ne sait très bien ce que Macaulay Culkin – car oui, c’est bien lui – trafique à Paris. Il se promène, il semblerait qu’il n’ait pas grand-chose d’autre à faire.
Roommate de Peter Doherty
Depuis quelques mois, il a quitté New York et circule en Europe. La rumeur colporte qu’il fut temporairement le roommate d’un autre exilé parisien, Peter Doherty. En mars dernier, les yeux dissimulés par des lunettes à monture rouge et le crâne curieusement surmonté d’une queue de cheval courte et haute, on l’apercevait à l’inauguration de la foire du Trône. L’ancienne star de cinéma y croisait des people d’aujourd’hui, pourtant quasiment de son âge : Cindy de Secret Story 3, Alban et Amélie des Anges de la téléréalité 5…
En avril, il suivait son ami Adam Green en tournée sur les routes britanniques. Lors du concert de Brighton, le folk-singer au look de rabbin (chapeau noir et petite barbe) invite même Macaulay à le rejoindre sur scène. Ensemble, ils se lancent dans une version un peu approximative, comme dans un karaoké arrosé, du Kokomo des Beach Boys. Sur scène (la vidéo est sur YouTube), il paraît aux anges. Dégingandé, malhabile quand il bouge (un comble pour un garçon qui a fait très tôt de la danse classique), il ressemble encore à un adolescent qui se marre sans se défaire complètement de son mal de vivre. L’allure a gardé quelque chose d’enfantin, mais les traits sont tirés et émaciés. On peinerait à lui donner un âge. Macaulay a un peu tous les âges. Venant à peine de franchir la trentaine – 33 ans en août prochain –, il ne saurait être vieux. Retraité du cinéma depuis vingt ans, survivant fantomatique de son propre mythe d’enfant star du siècle dernier, il ne saurait non plus être seulement jeune.
Survivant fantomatique de son propre mythe d’enfant star
Macaulay Culkin naît à New York, l’été 80 donc (celui d’Upside down de Diana Ross et de Call Me de Blondie), dans une famille où rien ne compte sinon la précocité artistique. Son père, Christopher Culkin, dit Kit, a étudié la danse à l’American Ballet de NYC (comme Macaulay trente ans plus tard), fait de la figuration enfant au théâtre et à la télé, apparaît même adolescent au détour d’une scène de West Side Story (1961). La suite de la carrière de Kit sera plus clairsemée. C’est dire s’il va s’employer à mettre la pression à sa progéniture pour accomplir le destin d’enfant star qu’il a convoité mais foiré pour lui-même. Peut-être pour maximiser les chances d’engendrer une étoile, Christopher Culkin et sa compagne Patricia ont pas moins de sept enfants. Macaulay est le troisième, et tous font des panouilles dans des pubs, des films… Après plusieurs seconds rôles très jeune, dès 4 ans, dans des séries puis des films (on se souvient peut-être de lui en fils de Tim Robbins dans L’Echelle de Jacob d’Adrian Lyne), Macaulay décroche la timbale, à 9 ans, dans le rôle du petit Kevin McCallister de Maman, j’ai raté l’avion (1990).
A l’époque, l’empire Disney ne s’est pas encore complètement refait une santé (Aladdin et Le Roi lion sont à venir), Pixar est embryonnaire et Dreamworks n’existe pas. Le film a pour lui la voie royale du marché enfantin et familial – tout être humain né entre 1980 et 1995 a dû voir le film en VHS entre cinq et huit fois avant ses 10 ans. Produit par le roi du teen-movie John Hughes (Breakfast Club, La Folle Journée de Ferris Bueller), réalisé par Chris Colombus (bientôt maître d’oeuvre d’innombrables blockbusters, de Madame Doubtfire aux premiers Harry Potter), Maman, j’ai raté l’avion exauce un fantasme enfantin basique, celui de voir sa famille entière disparaître par magie et de se retrouver le Robinson de sa propre maison, désertée, convertie en territoire à la fois fabuleux (où tout est permis, sauter partout, regarder des films d’horreur, engloutir tout ce que le réfrigérateur recèle de sucré) et terrorisant (dehors, le danger rôde et pourrait s’immiscer).
Parfait chérubin blond d’une Amérique blanche et chrétienne
Idéal incarné par Macaulay Culkin, parfait chérubin blond pour l’Amérique blanche et chrétienne, assez irrésistible en bout de chou facétieux, prompt à toutes les acrobaties. Subissant les assauts d’une paire de cambrioleurs peu finauds (en tête, Joe Pesci), il glisse parmi les meubles comme une petite créature de cartoon, poursuivant en prise de vue réelle les antiques courses de Tom et Jerry. Parmi les mille pitreries de Macaulay/Kevin, l’une d’elles frappe l’esprit, au point de figurer sur l’affiche : au pic de l’affolement, l’enfant hurle en appuyant ses mains sur ses joues. Les doigts effectuent une pression sur le visage de sorte que les traits paraissent tirés vers le bas. La figure, en proie à une légère déformation, semble couler. On dirait Le Cri d’Edvard Munch. Ou encore le masque allongé du tueur de Scream (qui n’existe pas encore). Quelque chose de très pictural et assez inquiétant nuance en tout cas d’un peu d’effroi l’aimable pantalonnade.
Avec près de 300 millions de dollars engrangés sur le seul sol américain, le film s’impose comme le plus gros carton de l’année 1990. Les années qui suivent sont donc logiquement celles de la Culkinmania et, dans la foulée, Macaulay porte vers les cimes du box-office un mélo bucolique en culotte courte, My Girl (1991), où il donne son premier baiser à une petite fille qui a perdu sa maman. Le dénouement, qui voit le jeune garçon attaqué par un essaim d’abeilles et succomber à ses piqûres, fait pleurnicher l’Amérique prépubère. Et, en 1992, le petit Kevin revient dans Maman, j’ai encore raté l’avion (eh oui ! ses parents indignes sont partis une seconde fois en vacances en l’oubliant à la maison, LOL), pour lequel Macaulay touche 3,5 millions de dollars.
C’est désormais son père qui gère sa carrière, et ses manières brutales dans les négos le font détester du tout-Hollywood. Après le triomphe programmé de la suite de Maman, j’ai raté l’avion, les cachets de Macaulay flambent encore. C’est pour 8 millions de dollars par film qu’on obtient ses mines mignonnes tout en haussements de sourcils. Il est urgent de battre le fer tant qu’il est chaud car la grâce enfantine est la plus périssable de toutes et, dès l’année suivante, la charmante physionomie miniature de Macaulay subit tout un tas de poussées et d’élongations. L’adolescence pointe son nez menaçant, à la plus grande frayeur du clan Culkin, qui aurait bien aimé que le poussin aux oeufs d’or ne se métamorphose pas si vite. Pour prendre de vitesse ce fléau naturel, Kit Culkin et son fils prennent un risque maximal en tournant un thriller retors à destination d’un public plus adulte, Le Bon Fils. Le tour de force tient à un contre-emploi absolu : l’adorable Macaulay y joue le rôle d’un enfant psychopathe et criminel ! Totalement tordu, quasiment gothique (tendance Rebecca d’Hitchcock), Le Bon Fils (1993) est un film assez fou et étrangement parlant sur la période difficile que traverse la jeune idole. Comme cet enfant déstabilisé par l’arrivée dans sa famille d’un cousin dont il craint qu’il lui vole l’amour de sa mère, Macaulay est une star menacée. L’ironie ultime est que dans le rôle de la menace, un jeune acteur de six mois son cadet fait son apparition, qui connaîtra ensuite la gloire qui va échapper à Macaulay : Elijah Wood.
Elijah Wood éclipse Macaulay Culkin
Acteur depuis le plus jeune âge, Elijah Wood fait partie de ces dizaines d’enfants lancés pour devenir le nouveau Macaulay Culkin ; il est le seul qui fera une véritable carrière et Le Bon Fils montre ce passage de relais sous forme d’un affrontement à mort. Avec son finale infanticide hallucinant qui voit Macaulay tomber dans un ravin et s’écraser, le film marque un coup de frein au box-office du wonderkid. La baisse de régime tourne à la cata avec Casse-Noisette (1993), qui tente d’optimiser ses talents de danseur : 20 millions de dollars de budget, 2 de recettes. Si les films suivants redressent un peu la barre, aucun ne dépasse les 50 millions de dollars (six fois moins que les Maman, j’ai raté…). Le sort en est jeté : fin 94, âgé de 14 ans, Macaulay prend la décision de suspendre sa carrière. “J’en plaisante souvent, mais oui on peut dire que j’ai pris ma retraite à 14 ans”, dira-t-il dix ans plus tard – lors d’une des rares interviews accordées depuis son retrait des écrans – au show télé de Larry King. Il y évoque ce jour où, se promenant avec sa mère, il parle de ses projets de vacances.Elle lui dit que cela est impossible car il doit tourner un film. Il décide de ne pas le faire et sa mère le soutient, face à l’autorité de son manager de père qui prend la nouvelle comme un camouflet et un avis de licenciement. Le couple ne survit d’ailleurs pas à cet obus. Christopher Culkin et Patricia se séparent courant 95 et engagent une bataille juridique de chiffonniers pour se disputer la garde du plus précieux de leurs sept enfants, et surtout la gestion de sa fortune personnelle, estimée alors à 17 millions de dollars. En attendant l’issue juridique, Macaulay va du domicile de l’un à celui de l’autre et son adolescence, elle, ne va pas sans souci. Dans une édition de mai 96, le Chicago Tribune recense toutes les bêtises accumulées en quelques mois par le garçon de 15 ans : il fait des graffitis sur les murs de l’appart familial, se teint les cheveux en bleu, boit des bières, sèche l’école…
Plus grave, il appelle un jour la police pour se plaindre d’être battu par son père. Des officiers du NYPD débarquent dans l’appartement de l’Upper West Side pour demander des comptes à Kit Culkin. Celui-ci finit par confesser avoir giflé son fils pour qu’il range sa chambre. Bien que ne portant pas de traces de blessures physiques, Macaulay maintient ses accusations de maltraitance. Une plainte est déposée et Culkin senior doit comparaître au tribunal. S’il ne sera jamais inculpé pour maltraitance, l’épisode ne plaide pas vraiment en sa faveur dans le conflit juridique qui l’oppose à son ex-compagne pour gérer la fortune du fiston. Lequel fiston se jette à son tour dans la bataille : à 16 ans, il amorce une procédure d’émancipation afin de se libérer du joug parental. Il obtient gain de cause et peut disposer de sa fortune avant l’âge de sa majorité.
S’inventer une vie d’adulte
Que faire après avoir tiré un trait sur sa vie de star puis sur celle de fils méritant et fructueux ? S’inventer à toute allure une vie d’adulte à soi, quitte à brûler un peu les étapes. En 1998, à moins de 18 ans, il épouse la comédienne Rachel Miner (pour divorcer deux ans plus tard). La même année, il ressuscite devant les caméras, mais pour imposer une image à l’encontre de celle, rassurante et policée, de ses jeunes années. Harmony Korine le filme pour un clip des Sonic Youth : Sunday. Le très beau plan-séquence inaugural le montre s’observant, un peu médusé, dans un miroir. Son visage s’est allongé mais on reconnaît le kid des early nineties. Néanmoins, l’oeil est vitreux.
Plus tard, il roule longuement une pelle à une jeune fille, joue à humecter ses grosses lèvres de sa langue indolente, gratter un peu la guitare aux côtés de Thurston Moore. Il paraît sortir d’un inédit de Larry Clark, tombé d’un roman sulfureux de Dennis Cooper, anticipe même les rêveries mortifères autour de l’adolescence de Gus Van Sant.
Dans la foulée, Harmony Korine en fait un de ses modèles privilégiés et publie un album de portraits de lui avec son épouse Rachel, intitulé The Bad Son – un clin d’oeil à son film Le Bon Fils et une référence à ce qu’il semble devenu : un fils divorcé de ses parents, un “mauvais garçon” autour duquel planent des rumeurs de débauche et de toxicomanie. De fait, il est arrêté en septembre 2004 dans la ville d’Oklahoma en possession de quelque 17 grammes de marijuana, de xanax et de clonazepam. Dans ses interviews, il dément pourtant cette réputation de grand junkie fréquemment relayée sur le net. En juin dernier, Twitter allait même jusqu’à annoncer son décès. D’autres sites racontent que sa consommation de stupéfiants serait décuplée depuis sa rupture avec l’actrice Mila Kunis (That ‘70s Show, Black Swan) après huit ans de vie commune. Son père, dont le jeune homme disait chez Larry King qu’il ne souhaitait plus le revoir, s’inquiétait sur le site InTouch, l’an dernier, non sans opportunisme, de son état de santé.
Mais la part la plus fascinante du trajet de Macaulay Culkin tient peut-être à l’amitié qui le lia pendant près de vingt ans à Michael Jackson. C’est lorsque l’enfant était au faîte de sa gloire que la pop-star entreprit de le rencontrer et lui proposa, en 1991 (entre les deux Maman, j’ai raté l’avion), de jouer dans le clip de son tube Black or White. Dès lors, Macaulay et Michael deviennent amis et l’enfant est reçu fréquemment à Neverland. Dans ses interviews, il dit que c’est un des endroits où il s’est senti le plus à son aise, le mieux protégé. Il raconte aussi que Michael pouvait mieux que quiconque comprendre la pesanteur de la relation à son père. Lorsque le chanteur est accusé de pédophilie en 1993 puis en 2003, Culkin ira chaque fois témoigner en sa faveur. “Oui j’ai dormi dans sa chambre, mais vous ne comprenez pas qu’elle s’étend sur deux étages, comprend trois salles de bains.”
Devenu adulte, Macaulay reste proche du chanteur, qui lui propose même de devenir le parrain de deux de ses enfants, Prince Michael et Paris. A la mort de l’idole, en juin 2009, The Sun affirme même que Macaulay aurait fait don de son sperme et serait le père biologique d’au moins un de ses enfants. L’hypothèse est séduisante et il serait assez beau qu’après avoir congédié juridiquement son propre père, le jeune homme délègue à un autre (et pas la plus conventionnelle des figures parentales) le soin de sa paternité. Mais dans les jours qui suivent ces allégations, via le site TMZ, Culkin dément vigoureusement ces rumeurs. Entre les destins de Jackson et Culkin, les rimes sont nombreuses : gloire précoce, figure abusive d’un père manager, harcèlement médiatique… Pourtant, quelque chose de symétriquement inverse se fait jour. Michael Jackson avait déifié l’enfance, organisé son monde de façon à en faire perdurer pour toujours l’illusion. D’une certaine façon, Culkin n’a jamais fait que l’inverse. Très tôt, il s’est attaché à liquider tous les reliquats de l’enfance : en devenant le plus jeune retraité du monde, en défaisant juridiquement les liens qui l’attachaient à ses parents, en se mariant et divorçant avant l’âge de 20 ans, en faisant de toute sa vie une sorte de longue troisième mi-temps, d’interminable après-match où tout est déjà joué.
Si cet été, au hasard d’une balade parisienne, vous veniez à le croiser dans une rue, surtout ne l’interpellez pas. Dans une interview accordée au site New York Magazine, lors de la sortie en 2007 de son attachant autoportrait littéraire intitulé Junior, il déclarait : “J’ai travaillé à me dissocier mentalement de ‘Macaulay Culkin’. A tel point que si quelqu’un m’appelle comme ça dans la rue, je ne répondrai pas. Quand j’avais 14 ans, j’ai arrêté, j’ai dit que je ne recommencerai jamais. Alors dites à mon propos ce que vous voulez. Que je suis un fou, que je suis un drogué. Je m’en fous complètement. Ce n’est plus de moi que vous parlez, mais de vous. Alors allez-y, amusez-vous bien…”