En trois spectacles décoiffants, ces deux artistes allemands exposent les codes d’une scène ivoirienne en pleine ébullition.
Taper du pied sur le sol. Porter des vêtements incroyables. Fumer des cigares longs comme le bras. Exhiber le cigare après l’avoir extrait de sa boîte avant de l’allumer. Taper du pied. Déchirer un emballage de Veuve Cliquot avec les dents. Taper du pied encore. Danser autour d’un carton de Veuve Cliquot. Tourner avec serré entre les mâchoires le goulot de la bouteille de champagne. Manger le papier aluminium. Recueillir le liquide jailli de la bouteille telle une eau sacrée dont on s’enduit le visage. Variante : mélanger le champagne avec du champoing puis s’en frotter les cheveux. Taper du pied. Boire le champagne dans une chaussure – si possible empruntée à un spectateur ou une spectatrice.
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En découvrant La Jet Set, spectacle mis en scène par Monika Gintersdorfer et Knut Klassen, et interprété par Jean-Claude Dagbo, Hauke Heumann et Frank Edmond Yao, on se demande ce que Michel Leiris, auteur notamment de L’Afrique fantôme, aurait pensé de ce rituel déconcertant mais non dépourvu d’humour. Le caractère fétichiste de la marchandise, analysé par Karl Marx, y est exposé sous un jour inhabituel. Bling bling, goût du luxe tapageur, marques, logos, billets de banques, tout ce qui brille, tout ce qui s’exhibe est exalté avec une énergie confondante. Ici tout est question d’attitude. Il faut se monter. L’esprit de la Jet Set ou « esprit du boucan » est né dans les boîtes de nuit d’Abidjan. Il s’agit de se montrer. D’exister. Voire de s’inventer. Être le roi du monde, même si cela ne doit durer qu’un instant.
L’argent qu’on exhibe par paquets, en l’extirpant éventuellement de son caleçon (Versace), est le carburant qui permet tout. Sur scène le danseur Frank Edmond Yao dépose des billets un par un sur le sol avant de marcher dessus. L’argent n’a pas d’importance. Il est là pour être dépensé jusqu’au dernier sou. Au fond ce qui est défendu dans ce spectacle, c’est l’esprit de la fête s’appuyant sur la notion de dépense chère à Georges Bataille. Seul compte l’instant. La danse qui accompagne cette affirmation de soi, c’est le coupé décalé ; rythmé par des slogans, souvent un simple mot, en forme de question-réponse.
Décalée, cette création l’est aussi à travers les commentaires de ses protagonistes, systématiquement traduits en anglais par Hauke Heumann.
Ce souci d’analyser et de traduire est aussi à l’œuvre dans les deux autres spectacles présentés par le duo Gintersdorfer-Klassen. Dans Logobi 05, Frank Edmond Yao et le danseur et chorégraphe Richard Siegal improvisent tout en confrontant leurs pratiques. Il y a quelque chose de fascinant dans la façon dont les mouvements de l’un se traduisent dans la gestuelle de l’autre. Régulièrement repris avec des variantes, leurs échanges ont la forme d’un dialogue opposant des codes très différents dont la superposition produit d’amusantes métamorphoses.
Avec La Fin du western sept interprètes reviennent sur les dernières élections en Côte d’Ivoire avec à la clef le combat entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouatara. « On a élu deux présidents, preuve que la Côte d’Ivoire est le pays le plus démocratique du monde », ironise un danseur. Plus encore que les deux précédents, ce spectacle met en œuvre une forme unique de parler-danser. Recréant à sa façon le chaos des élections, la mise en scène scinde l’espace en deux parties, voire en deux camps, invitant le public à se déplacer d’un côté à l’autre. Cela se transforme vite en un va et viens permanent, quelque chose comme un exercice d’agitation appliquée dans lequel le public est convié à participer entre interventions énervées et ambiance survoltée. Un spectacle à double foyer où l’on se perd un peu, mais dont l’atmosphère électrique ne manque pas d’ironie en confrontant une multiplicité de points de vue sur la question de l’avènement de la démocratie en Afrique.
Logobi 05, La Fin du western, La Jet set, jusqu’au 14 juillet à 15h, 17h et 20h30 au gymnase du Lycée Saint-Joseph, Avignon. Dans le cadre du festival d’Avignon.
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