Dans Ping pang qiu, Angélica Liddell rêve d’une Chine impossible qu’elle voudrait «arracher au royaume des ombres ». Ce spectacle est le pendant mélancolique, mais apaisé de Todo el cielo sobre la tierra (El sindrome de Wendy), son autre création présentée au festival.
Une danseuse fait des pointes en s’appuyant sur le rebord d’une table de ping-pong. Selon le côté de la table où elle se trouve, elle sourit ou elle pleure. On explique à un chien les règles du jeu. Puis on lui montre le Petit Livre rouge de Mao. Chez Angélica Liddell, le grave et le dérisoire forment un couple indissociable. Ils se renvoient la balle en quelque sorte ; comme au ping-pong. Le sérieux est trop grave pour qu’on le prenne au sérieux. Angélica Liddell est travaillée par la Chine. Elle a fait plusieurs séjours à Shanghai. Comme beaucoup de voyageurs, à commencer par Victor Segalen il y a bien longtemps, elle rêve d’une Chine qui n’existe pas. Ou qui n’existe plus. « La Chine est la destruction de la Chine », dit-elle. Tentant d’évoquer ce pays impossible, elle s’appuie sur le mythe d’Orphée. Tandis qu’il ramène Eurydice des Enfers, celui-ci ne doit jamais tourner son regard vers celle qu’il aime. Car, si par malheur cela arrivait, il la perdrait à jamais. La Chine est donc cette Eurydice qu’Angélica Liddell a regardé en face et qui du coup lui échappe.
« Pourquoi tu aimes la Chine ? », lui demande-t-on dans le spectacle. Légèrement avachie, comme amollie par quelque vision sensuelle, elle lâche d’un air déluré : « À cause de la peau ». Comme si la Chine était pour elle l’objet d’une passion érotique. L’opéra de Gluck, Orphée et Eurydice, est régulièrement convoqué, tandis que les Métamorphoses d’Ovide sont réduites en cendres au profit du Petit Livre rouge. Pour Angélica Liddell, c’est le maoïsme qui a détruit la Chine. On ridiculise les intellectuels français qui chantaient les louanges du Grand Timonier dans les années 1970. On mime les gestes de l’étudiant s’opposant aux chars de la place de Tian’anmen. Une musicienne chinoise qui devait participer au spectacle a finalement refusé par peur de représailles. Comme si la Chine étendait ses tentacules au-delà même de son immense territoire. Une Chine mentale et carcérale qui s’oppose à la Chine rêvée et donc impossible d’Angélica Liddell. Sur le côté droit de la scène, un idéogramme confirme cette note mélancolique. Les signes qui le composent sont « deux bouches ouvertes au-dessus d’un chien », ce qui se traduit par « pleurer ».
Hugues Le Tanneur
Ping pang qiu, mise en scène Angelica Liddell, du 5 au 11 juillet, au Gymnase du lycée Mistral. Festival d’Avignon.