Depuis quelques années, l’industrie musicale dispose d’un nouvel outil de promotion mêlant les univers du cinéma et du jeu vidéo. Après les tâtonnements des premières expériences, limitées techniquement, le clip interactif prend aujourd’hui son envol.
Depuis le lancement de MTV en 1981, le clip constitue le terreau idéal pour repousser les limites formelles de la vidéo et tenter de nouvelles expériences, automatiquement soutenues et relayées par un socle de fans enthousiastes. On se souvient par exemple du clip de Black or White de Michael Jackson qui, à travers la technique du morphing, nous laissait entrevoir dès 1991 le potentiel de l’outil informatique dans la production filmique. Une vingtaine d’années ont passé et ce laboratoire créatif est en train de vivre sa plus grande révolution, celle de l’interactivité.
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Le concept du clip interactif, c’est de transformer le spectateur en acteur. Au lieu de rester planté devant son écran, l’internaute est tour à tour invité à bouger les mains devant sa webcam pour faire défiler l’image (Arcade Fire – Sprawl II), à se couvrir les yeux pour jouir de la musique (The Shoes – Cover Your Eyes), à diriger une caméra à bord d’un avion de chasse de la seconde guerre mondiale (Boys Noize – Stop) ou même à naviguer dans un univers géométrique, le tout grâce aux flèches de son clavier (Coma – My Orbit).
« L’intérêt est que le mec devant son écran peut s’approprier un clip comme jamais auparavant, se réjouit Clément Durou, du duo de réalisateurs français We Are From L.A. Ce qu’on a kiffé avec notre application iPhone, réalisée pour le titre I <3 U So de Cassius, c’est que les gens l’ont utilisée pour poster de nouvelles vidéos sur le web. Il n’y a plus un émetteur et un récepteur, mais des gens qui aiment la musique et participent à la vie du clip. »
Rare, ludique et immersif, ce nouveau format se répand généralement comme une traînée de poudre sur les réseaux sociaux.
Un enfant d’internet
Le pionnier du genre, considéré comme le premier clip interactif, habille le morceau Neon Bible du groupe montréalais Arcade Fire. Dévoilé en 2007, il est l’œuvre de leur compatriote et ami Vincent Morisset, passionné de programmation et de jeux vidéo. « A l’époque, les chaines spécialisées comme MTV privilégiaient la téléréalité, forçant les jeunes à se tourner vers le web pour visionner des clips, explique ce réalisateur touche-à-tout. Internet m’était familier mais la bande passante restait faible. Je me suis donc dit que tant qu’à faire de la vidéo qui se retrouve en tout petit sur la toile, moche et pixélisée, autant exploiter les avantages de ce medium et faire quelque chose de conçu pour lui. Ce clip est le fruit d’une intuition très pragmatique et ce n’est que plus tard, avec le recul, qu’on s’est rendu compte que c’était quelque chose de nouveau, de différent. Sur l’instant, ça faisait simplement sens pour moi. » Sans le savoir, il venait de défricher une toute nouvelle voie dans le petit monde du vidéoclip.
Passés les balbutiements des premières expérimentations, on assiste depuis deux ans à une généralisation de cette pratique : le clip interactif perd peu à peu son statut d’Ovni. Cette multiplication s’explique évidemment par les évolutions technologiques, comme l’arrivée de la fibre et d’ordinateurs toujours plus puissants qui permettent de faciliter l’accès à ces contenus, mais également par l’expertise croissante des acteurs de ce milieu. De plus en plus de créateurs, de réalisateurs et d’artistes maîtrisent désormais l’outil web, au point de pouvoir fusionner les techniques du cinéma avec des technologies de plus en plus pointues.
« Ce qui est excitant avec internet, c’est que de nouveaux outils apparaissent tous les jours pour nous aider à repousser les limites. J’aimerais tellement voir les clips qui vont sortir dans trois ans, surtout avec des mecs comme Chris Milk qui expérimentent dans tous les sens. Ça va être dingue ! », s’extasie Pierre Dupaquier, seconde moitié de We Are From LA.
Des labels encore frileux
A l’heure actuelle, l’interactivité reste marginale dans la promotion musicale. « Ce n’est pas évident de proposer ce type de créations car les artistes et les labels n’ont souvent pas les couilles de faire ce saut dans l’inconnu, déplore Pierre Dupaquier. Ils commencent toujours par nous demander à quoi ressemblera la version non interactive, ce qui est dommage car c’est juste une évolution logique. » Cette réticence des labels s’explique aussi par des barrières financières. Dans les faits, un clip interactif coûte généralement plus cher qu’un clip traditionnel, car le prix du développement s’ajoute à celui de la production visuelle. Mais même si les labels manquent cruellement d’argent, cette excuse ne tient pas pour Vincent Morisset : « Il suffit de mettre un peu moins de budget dans la pyrotechnie, les plans de grues, et de reverser le surplus dans la programmation et le design. »
Une autre solution s’offre aux artistes et aux labels en manque de liquidités. L’interactivité n’intéressant pas seulement l’industrie musicale, les créateurs cherchent de nouveaux interlocuteurs pour financer leurs projets. « Je pense que les marques sont prêtes à s’effacer, petit à petit, pour coproduire avec des labels des contenus exclusifs et interactifs sur internet, estime Clément Durou. On risque de voir de plus en plus de collaborations comme celle d’Arcade Fire et de Google Chrome (sur Sprawl II) ou comme la nôtre avec MTV pour le clip de Death Grips. » Avec une connexion moyenne de 15 minutes pour ce dernier, réalisé pour le titre I’ve Seen Footage, on voit mal comment l’industrie musicale pourrait se passer d’un outil de promotion pareil. La révolution est en marche, elle prend juste son temps.
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