Deux jours après des manifestations sans précédent au Caire (Egypte) pour réclamer la démission du président islamiste égyptien Mohamed Morsi, le pays est toujours sous tension. Près de 600 blessés, des ministres qui démissionnent, une armée qui resserre ses rangs… Retour sur le réveil de la place Tahrir.
Deux ans après la chute d’Hosni Moubarak, le peuple égyptien s’est massé dans le rue ce dimanche, à l’appel du mouvement Tamarrod (rébellion, en arabe) qui exige la destitution de Mohamed Morsi. Jean-Noël Ferrié, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de l’Egypte fait le point sur la situation très tendue dans le pays.
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Qui sont les opposants au régime qui se réunissent depuis dimanche place Tahrir – symbole du mouvement de révolte qui a destitué Hosni Moubarak en 2011 ?
Le mouvement qui s’agrège autour de l’appel de Tamarrod est fondamentalement hétérogène. Il n’y a qu’à voir le nombre de signatures (22 millions) que le mouvement assure avoir collecté pour réclamer une présidentielle anticipée. On distingue tout de même trois groupes en présence : tout d’abord, il y a les libéraux qui ont été à l’origine des révoltes en 2011. A la chute d’Hosni Moubarak, ils étaient déjà contre des élections anticipées et contre l’élaboration rapide d’une constitution. Depuis le début, ils sont opposés à l’accès au pouvoir des Frères musulmans. Ensuite, il y a les partisans de l’ancien régime qui contestent le pouvoir face à l’échec de Mohamed Morsi et l’autoritarisme des islamistes au pouvoir. Enfin, il y a les fidèles des Frères musulmans eux-mêmes, non contents de leur gestion du pouvoir.
Que revendiquent-ils ?
Tout d’abord, le peuple demande la démission de Mohamed Morsi. Une autre revendication, qui se répète au gré des crises depuis que les Frères musulmans ont réussi à s’approprier le bénéfice de la chute d’Hosni Moubarak, est celle de remettre les compteurs à zéro et mettre en place un gouvernement d’Union nationale avec l’ensemble des parties en présence – c’est ce que demandent l’ensemble des partis libéraux égyptiens.
Quel bilan peut-on faire d’un an de présidence Morsi ?
Catastrophique. L’économie égyptienne n’était déjà pas brillante sous Hosni Moubarak ; elle n’a fait que péricliter depuis la chute de l’ancien président. On assiste à une flambée des prix sans précédent, un tourisme en berne, une désorganisation des services de l’Etat… Le peuple n’a pas vu non plus sa situation économique évoluer, au contraire, le climat social est actuellement très tendu. Le minimum que les égyptiens pouvait espérer était un retour au calme, ce que les Frères musulmans ont échoué à faire. Un climat de sécurité, présent d’une certaine manière lorsque Hosni Moubarak était au pouvoir. Globalement, les Frères musulmans n’ont pas engagé de réforme économique, ni de réforme sociale, et encore moins de réforme constitutionnelle. Ils ont simplement cherché à s’accaparer le pouvoir et à le garder.
Le chef d’état-major de l’armée égyptienne vient de donner 48 heures aux responsables politiques pour “satisfaire les demandes du peuple”. Quel rôle peut jouer l’armée à ce stade de la situation ? Sera-t-elle prête à piloter l’Egypte comme elle l’a fait après la chute d’Hosni Moubarak? Plus généralement, à qui peut profiter la situation actuelle?
Si l’on assiste à une dérive violente de la confrontation entre les Frères musulmans et l’opposition, l’armée devra sûrement intervenir. Est-elle prête à assumer de nouveau le pouvoir pendant un an? Rien est moins sûr. Il y a tout de même eu un changement de génération au sein de l’armée. En 2011, on avait un vieux militaire aux capacités restreintes, le maréchal Tantaoui. Désormais, la relève au sein de l’armée pourrait être tentée de revenir sur le devant de la scène politique. Je ne la vois pas pour autant vouloir exercer directement le pouvoir sauf si le degré de déliquescence est tel qu’elle soit contrainte de le faire.
Par ailleurs, la situation actuelle pourrait tout à fait bénéficier à une partie des partisans de l’ancien régime. Les pro-Moubarak ne sont pas tous des criminels et des corrompus, il font également partie de l’ancienne classe dirigeante et pourraient se recycler au sein d’une nouvelle majorité politique.
Lors des révoltes de 2011, on s’était interrogé sur la capacité du mouvement d’opposition de s’ériger en véritable force politique après la destitution du pouvoir en place. Cette fois-ci, l’opposition est-elle capable de proposer un projet de réforme politique ?
Quand il sera question de ne plus être contre quelqu’un mais se mettre ensemble pour un même projet, ce sera autre chose. Je ne suis pas certain qu’il y ait quelque chose de structuré au sein de l’opposition mais que dire des Frères Musulmans? Ils sont arrivés au pouvoir sans programme politique, sans élite compétente pour diriger le pays, avec la seule envie de garder le pouvoir. A choisir entre l’opposition et un parti sans aucune valeurs libérale… Après deux ans de réflexion, on peut également considérer que l’opposition, malgré sa diversité, s’est donné les moyens de proposer des contre-projets.
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