Tout commence par un statut sur Facebook. Le témoignage d’une jeune femme qui, excédée par le comportement des hommes en convention, fait le buzz dans le milieu du cosplay. Les témoignages affluent. Le statut sert d’exutoire, les langues se délient. Dans les commentaires, des dizaines de témoignages montrent l’ampleur du phénomène. Le cosplay, c’est quoi? […]
Dans le milieu confidentiel du cosplay, toutes le savent mais peu en parlent : les agressions sexuelles sont légion. Nombre d’hommes profitent de leur accoutrement pour harceler et agresser des femmes, souvent très jeunes. Dans une relative impunité. Le 19 septembre dernier, la page Facebook Aly’s Cosplay brise le tabou et se fend d’un coup de gueule. Le sexisme chez les geeks n’a pas fini de faire parler de lui.
Tout commence par un statut sur Facebook. Le témoignage d’une jeune femme qui, excédée par le comportement des hommes en convention, fait le buzz dans le milieu du cosplay. Les témoignages affluent. Le statut sert d’exutoire, les langues se délient. Dans les commentaires, des dizaines de témoignages montrent l’ampleur du phénomène.
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Le cosplay, c’est quoi?
Au confluent du geek et du chic, cette subculture décline ses tons multicolores au gré des conventions, rassemblements spécialisés dans la pop-culture (comme Paris Manga ou la Japan Expo). Plus qu’un déguisement, « le cosplay est aussi, parfois, un roleplay », selon Aly, cosplayeuse et auteure du coup de gueule sur Facebook. En clair, il s’agit de jouer celui que l’on incarne. Sauf que le roleplay sert souvent de prétexte à des débordements sexistes.
Le cosplay compte de plus en plus d’adeptes. Difficile d’en délimiter le nombre exact en France, mais on peut s’en faire une idée en regardant la foule qui se presse dans les allées fleuries du festival Harajuku, du nom d’un quartier de la capitale nippone, qui se tient une fois par an, au parc de Bercy (Paris).
Après avoir assisté à une énième agression dans ce genre de convention, Aly décide de tirer la sonnette d’alarme. Dans le café où nous la rencontrons, elle nous dévoile les raisons de son coup de gueule. « Je ne m’attendais pas à ce que ça fasse autant de bruit », concède-t-elle. « Si j’ai fait ce statut, c’était pour rappeler aux jeunes filles, car les salons sont fréquentés de plus en plus par des jeunes, que ces comportements sexistes étaient illégaux. Une de mes amies, mineure, s’est fait agresser. Je ne pouvais pas laisser passer ça ».
Des témoignages accablants
« À presque chaque convention je me fais tripoter, dans la file d’attente, avec des gens qui souhaitent faire une photo avec moi. La première fois, j’avais 14 ans et ça m’avait beaucoup choquée. Maintenant que j’ai 18 ans, donc un corps plus développé, c’est encore pire. Beaucoup d’hommes pensent que le cosplay d’une fille est une invitation ou une proposition sexuelle », témoigne Alice, cosplayeuse.
Ce cas, loin d’être isolé, révèle une tendance généralisée. Les agressions ne sont pas tant le fait de « civils » comme on les appelle (les personnes ne pratiquant pas le cosplay), que de roleplayers. Certains personnages en particulier cristallisent les critiques. On y retrouve pêle-mêle Tortue Géniale de Dragon Ball, Deadpool de l’écurie Marvel, le Joker, éternel ennemi de Batman, ou encore le « Patron » de Salut Les Geeks (SLG). Autant de cosplays susceptibles d’annoncer un comportement déplacé.
Où poser la frontière de ce qui relève du jeu et de ce qui n’en relève pas ? Où s’arrête le roleplay et où commence l’agression ? « Il faut partir du principe que la femme n’est pas forcément consentante », affirme résolument Aly. Pour elle, le jeu s’arrête là où la loi commence. « Si on a l’accord verbal de la personne, si ça se fait entre personnes consentantes, alors pourquoi pas », ajoute-t-elle.
Le costume comme alibi
Pour Kendall Walton, un philosophe américain, le personnage de fiction se comprend comme un « ego expérimental ». Un « autre moi » en somme, où l’on déverse ses pulsions. Chez les roleplayers-agresseurs, cette pulsion n’est pas satisfaite par le seul cosplay. La fiction déborde-t-elle de son cadre pour venir imposer sa loi dans la réalité? A en croire Aly, le cœur du problème n’est pas là. « Les personnages violents ne sont pas en tort. Le vrai problème, ce sont les gens derrière le masque ».
Pourtant, le cosplay ne porte-t-il pas en son sein les germes de sa propre destruction ? N’est-il pas « un exutoire pour exhibitionnistes aux frontières du convenable », comme l’affirme Joëlle Nouhet ? « Comme Halloween, le Kosupure [cosplay] nippon a plusieurs fonctions : celle liée à l’ambiance festive du carnaval et au relâchement temporaire des règles et des statuts sociaux ; le droit de flirter avec les limites de l’acceptable », écrit celle qui est l’auteure d’un article consacré au cosplay.
« Ces conventions sont des rituels moins encadrés que les rituels traditionnels. Les rituels costumés sont des expériences extrêmement violentes pour les femmes, comme par exemple le carnaval. Le nombre de viols et d’agressions explosent dans ce genre de circonstances. Le costume est toujours l’occasion pour ceux qui le portent de se dédouaner, de dire ‘c’est pas moi, c’est le personnage’. Il y a un creuset qui fait que la situation ne peut être qu’explosive », décrypte Hélène Marquié, maîtresse de conférence au Centre d’études féminines et d’études de genre de l’Université Paris 8.
Des agressions rarement punies
Comme dans toutes les situations d’agressions sexuelles, bien peu de cas sont portés à la connaissance de la justice. Ni Alice, ni Aly n’ont porté plainte suite à leurs agressions. Jun Lilith, c’est son nom de cosplayeuse, en revanche, n’a pas laissé les choses en rester là. A Paris Manga, grimée en Harley Quinn, Jun se fait aborder par un individu cosplayé en Patron de SLG. « Il est venu vers moi me mettant une main aux fesses. Je lui ai sèchement dit de la retirer rapidement. J’ai ensuite appris en envoyant un message au staff qu’il y avait eu un autre problème avec lui ce même jour. Ils m’ont renvoyé vers le commissariat. Ils avaient pris la plainte d’une autre demoiselle, qui était mineure. J’ai les ai donc appelé pour apporter mon témoignage », raconte-t-elle. Ce genre de cas reste rare. La plupart des agressions sexuelles en conventions et en salons restent impunies. Pourtant, des mesures pourraient être prises. « Il y a certaines têtes connues [de harceleurs] dans les conventions. Je ne comprends pas pourquoi ils ne sont pas blacklistés », s’interroge Aly.
Il n'y a pas meilleure tenue qu'un cosplay pour aller à la #FashionWeek ! #PGW pic.twitter.com/cvTocvZHyS
— Paris Games Week (@ParisGamesWeek) September 26, 2017
La lente évolution des mentalités
En 2013, le sexisme dans le milieu geek éclate au grand jour. Usul, vidéaste et chroniqueur, était alors intervenu pour dénoncer ce machisme ambiant. « Les milieux geeks ont une longue histoire sexiste, mais ce sont des milieux jeunes, qui se sont beaucoup transformés ces dernières années », analyse-t-il aujourd’hui.
https://www.youtube.com/watch?v=W9S3Zp0qlAs
Il faut dire que le milieu a toujours été tiraillé entre deux courants contradictoires. D’un côté, le mouvement progressiste et de l’autre, un mouvement plus réactionnaire. Malgré le sexisme latent, les mentalités changent peu à peu. « Aux Etats-Unis, certains salons ont interdit les booth babes », indique Usul. Les booth babes, comme au Salon de l’auto, servent à appâter le chaland. Hôtesses chargées de représenter une marque, elles portent souvent des tenues affriolantes. Cette véritable réification de la femme trouve de moins en moins sa place dans les salons, et l’on peut s’en féliciter. Au fur et à mesure que les femmes se réapproprient leur corps, le sexisme recule.
« Des femmes utilisent le cosplay comme un outil anti-sexiste, comme moyen de questionner la domination sur le corps, avec le genderswap [le fait de changer le sexe de son personnage], notamment. De plus, ce sont des comportements qui existaient déjà il y a huit ans, mais qui n’étaient pas pointés du doigt. Aujourd’hui les cosplayeuses laissent moins passer ce genre de comportement », confie l’ex-présentateur du 3615 Usul.
Aly, la lanceuse d’alerte, ne tient pas non plus à donner une vision sombre du milieu. « Les gens sont paradoxalement plus tolérants sur certains points. Par exemple, je n’ai jamais vu d’acte homophobe en convention », se réjouit-elle. Une prise de conscience collective, couplée à la prise en compte du harcèlement de rue par le gouvernement : autant de raisons de croire en une évolution des mentalités.
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