Les grandes manifestations actuelles sont le résultat d’une addition de mécontentements. A ses racines, il y a le rejet de l’inflation et d’une classe politique sclérosée. Cependant, pour Martine Droulers, spécialiste de l’Amérique latine, après la proposition de référendum de la présidente, la contestation devrait diminuer.
Pourquoi les Brésiliens manifestent-ils ?
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A l’origine il y avait le mouvement des partisans des transports urbains gratuits (Passe Livre), aujourd’hui un peu dépassé. Le déclencheur des manifestations, c’est véritablement l’augmentation du prix du ticket de bus. Mais ce genre de protestations, contre le prix des transports, s’est déjà produit à Salvador il y a quelques années, ou il y a un an à Porto Alegre. Globalement au Brésil, le service public n’est vraiment pas de qualité. Si l’on veut être soigné, il faut faire la queue pendant des heures. L’éducation publique est en mauvais état et il y a énormément d’éducation privée payante (les trois quarts des formations supérieures sont privées). Tout cela est assez lourd pour les classes moyennes.
Mais le noyau du problème est l’inflation. Au Brésil c’est la maladie chronique, une espèce de peur collective dont on a du mal à se défaire. Depuis deux ans c’est une grosse atteinte au pouvoir d’achat des classes moyennes, alors qu’en même temps la croissance ralentit. 2012 a en effet été une année assez mauvaise, avec une inflation à 8%. Et encore, c’est un indicateur global, le plus important est que les produits de base, comme les tomates, ont énormément augmenté.
Mais les protestations visent aussi une espèce de sclérose de la classe politique, un déficit de démocratie politique. Il y a un vrai ras-le-bol par rapport aux politiciens. C’est là où l’on rejoint l’autre problème : la corruption. De nombreux hommes politiques, surtout ceux du Nordeste et du Nord « se servent d’abord ». Même le Parti des travailleurs (le PT, parti de la présidente Dilma Rousseff) qui se veut le parti le plus éthique a été ébranlé en 2005 sur un système d’achat de votes [le scandale du Mensalao]. Le mouvement actuel n’est pas tant contre Dilma Rousseff et le PT que contre les classes politiques en général, particulièrement le Congrès [le Parlement brésilien]. C’est pour ça d’ailleurs qu’il y a eu des manifs à Brasilia, alors que là-bas ce sont tous ceux qui travaillent dans les ministères, avec les plus hauts salaires du Brésil.
Quel est le rôle de la Coupe du Monde et des Jeux Olympiques dans la protestation ?
Il y a des grands travaux depuis deux ans pour moderniser tous les stades de foot afin de recevoir ces grandes manifestations mondiales. Ça coûte très cher, ce qui est d’autant plus difficile à accepter que la facture est deux fois plus élevée que prévu. J’étais à Manaus au mois de janvier, ils ont mis un stade à terre pour en construire un nouveau. La population avait déjà protesté localement à ce moment-là en disant que c’était honteux, mais évidemment les boîtes de BTP sont ravies. Il y a eu des scandales comme ça dans de nombreux endroits. C’est d’ailleurs assez surprenant que ce soit pendant le championnat [la Coupe de la Confédération] que ça éclate. D’habitude, tout le monde va aux matches et on oublie tout. Mais aujourd’hui tous les sujets qui fâchent sont remis sur la table, comme le barrage de Belo Monte. Nombreux sont contre : on remet en cause le statut des terres des Indiens autour du barrage, mais en même temps eux aussi veulent de l’électricité, de l’eau courante… C’est une contradiction dans le développement qui reflète les paradoxes de la classe moyenne qui a émergé.
Qui soutient le mouvement ?
Surtout à Sao Paulo et Rio, les étudiants sont l’essentiel des manifestants. Mais il y a eu un appel à la grève générale pour le 1er juillet, ce qui risque de changer la donne. Les syndicats pourraient emboîter le pas, même s’ils sont derrière le PT à l’origine, et qu’ils ne sont donc pas censés prendre position contre lui. Le journal La Folha de S. Paulo a fait des enquêtes pour connaître l’adhésion au mouvement, et les résultats dans la première semaine à Sao Paulo sont que 70 à 75% des interrogés y sont favorables… Pour l’instant, la population semble le soutenir.
Quel avenir pour la contestation ?
Le mouvement est en train de se calmer, par manque de leadership et de cohérence. Comme dans les autres grandes protestations nationales récentes de par le monde où les réseaux sociaux jouent un rôle important, la contestation est complètement spontanée, très hétérogène, et personne ne cerne très bien ce qui se passe. Le risque de mettre en cause la venue du Pape le 23 juillet, dans un pays à 70% catholique, a pu aussi contribuer à calmer les esprits. Le gouvernement, avec la proposition de référendum de Dilma Rousseff est dans son rôle, il ne peut pas laisser dégénérer la situation. On a beaucoup dit que Dilma ne faisait pas de politique mais plutôt de la gestion au jour le jour et peut-être que ce référendum lui permettra de se remettre en mouvement, de donner un souffle à son action politique.
Pour moi, la contestation va peu à peu diminuer : le Brésil n’est pas dans une situation pré-révolutionnaire. Mais même s’il s’éteint, il aura probablement une influence sur le PT. Le parti de gouvernement va essayer de rétablir un dialogue avec la population sur les sujets précis de la contestation, ce qui va sûrement favoriser en son sein des courants qui veulent davantage répartir la richesse . En cela, les manifestations actuelles peuvent être vues comme une demande de renforcement de l’action du parti au pouvoir, en continuité avec ses idées mises en application depuis 2002.
Martine Droulers est directrice de recherche au CNRS et notamment auteure d’un Que sais-je sur le Brésil (avril 2013).
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