Passé de mode, le front républicain ? Le haut résultat du candidat du FN, dimanche soir, à Villeneuve-sur-Lot, ne cesse de déclencher des remous à gauche comme à droite.
La réunion des ténors de la majorité, autour du Premier ministre, qui se tient tous les lundi à Matignon a été l’occasion de rappeler ce lundi 24 juin qu’au PS, il n’y avait officiellement qu’une ligne politique en cas de duel UMP-FN : le front républicain. En pratique, les élus du PS ont fait part dès l’annonce des résultats, de leurs questionnement, sur cet stratégie dans un contexte compliqué pour la majorité.
Cette élection organisée en raison de l’affaire Cahuzac a vu l’élimination du PS dès le premier premier tour et l’élection de l’UMP Jean-Louis Costes avec 53,76% des suffrages, contre un jeune candidat FN, Etienne Bousquet-Cassagne avec un gros score de 46,24%, soit vingt points de plus entre les deux tours. Surtout, c’est la huitième législative partielle perdue par la majorité depuis l’élection de François Hollande à l’Elysée, le 6 mai 2012. Et sur ces huit élections, quatre duels ont opposé dès le premier tour le FN à l’UMP, posant la question du front républicain.
« L’automaticité du front républicain, ça suffit »
Dès le dimanche 23 juin, après les résultats connus de Villeneuve-sur-Lot, le député de Seine-Saint-Denis Razzi Hammadi a été le premier à s’enflammer sur Twitter et exprimer un point de vue sensiblement différent de la ligne officielle. « L’automaticité du front républicain, ça suffit ». Un tweet qui a aussitôt appelé une réponse tout aussi vive du secrétaire national en charge des élections, Christophe Borgel, « T’as raison, la prochaine fois, on laissera passer le FN ». Et un cadre du PS de s’agacer contre le député de Seine-Saint-Denis, accusé d’affaiblir le PS en ouvrant la boîte de Pandore :
« La ligne du PS ne change pas. Ce serait bien que cette jeune génération de parlementaires s’en aperçoive. Il n’y a pas de remise en cause de notre ligne. Quand nous sommes confrontés à un duel FN-UMP, nous choisissons le vote républicain. »
Un message martelé aussi par le Président qui a confié à quelques en revenant de Jordanie, que le FN « n’est pas un parti comme les autres ».
Rue de Solférino, au siège du PS, le message semblait donc clair au lendemain du scrutin. Sans les voix du PS et l’appel au front républicain, le FN l’aurait emporté. Selon David Assouline, porte-parole du PS, le candidat UMP n’a gagné « qu’avec les voix de citoyens de gauche ». « Sans cet appel, sans ce combat politique de la gauche, c’est le Front national qui aurait été élu », « et nous serions là à commenter cette victoire ». En somme, pas la peine de s’interroger, pas la peine de tergiverser. En 2013, le front républicain continue de faire ses preuves face à un FN. Pour autant, la forte abstention à Villeneuve-sur-Lot (47,23%), le pourcentage élevé des votes blancs ou nuls (14,25%) et le gain de 7 000 voix pour le FN dans l’entre deux tours pose la question du suivi des consignes, les électeurs étant généralement de plus en plus réticents aux mots d’ordres nationaux des états-majors.
« Moralement irresponsable et politiquement débile »
Il serait « moralement irresponsable et politiquement débile de rompre avec cette attitude de fermeté vis-à-vis du FN », a tranché Jean-Christophe Cambadélis, secrétaire national à l’international. Le mouvement « la Gauche durable », qui comte environ 25 parlementaires socialiste, et animé par Christian Paul, a lui aussi jugé que « renoncer au vote républicain » équivalait à « mourir collectivement dans l’indignité ».
Sauf que le même Razzi Hammadi ne l’a pas entendu de cette oreille. Quelques heures plus tard, sur les ondes de RMC, lundi, il en remettait une couche :
« Le front républicain n’a pas de sens s’il est systématique. Quand vous êtes face à un candidat qui a tenu des propos très durs, sur le mariage pour tous ou l’immigration, proches du Front national, la question se pose ».
Une position qui est loin d’être totalement isolée au PS. Ou plusieurs élus remettent en cause le front républicain « tant que l’UMP gardera cette ambiguïté à l’égard du FN ». En somme, selon eux, tant que certains élus de l’opposition braconneront sur les terres idéologiques de l’extrême-droite, le front républicain ne sera plus un mode opératoire. Une question qui mérite pour eux un vrai débat avant les municipales. Dès mardi, le porte-parole du groupe PS, Thierry Mandon l’a rappelé : « Nous croyons », a-t-il affirmé, au « front républicain » face à « un parti anti-républicain », même si « ce front républicain a perdu de son efficacité en partie en raison de la version Copé de l’UMP », qui fait notamment que « sur le terrain, nos électeurs sont extrêmement dubitatifs ».
« Un traquenard politique permanent »
Aux yeux d’autres élus de gauche, au-delà d’un questionnement sur le front républicain, l’élection de Villeneuve-sur-Lot doit conduire à une analyse du scrutin et du vote FN. Ségolène Royal l’a dit assez clairement : estiment que « la vraie question, c’est de s’interroger sur les motivations d’un électorat qui maintenant va massivement sur le candidat du Front national sans se cacher le visage ». Pour certains élus de gauche, et même du PS, de tels résultats électoraux montrent qu’il faut infléchir la politique gouvernementale. Le coprésident du Front de Gauche, Jean-Luc Mélenchon a dénoncé hier le front républicain comme une « escroquerie » qui « n’avait pas de sens » et qui servait « à obliger les gens à faire des choses qu’ils n’ont pas envie de faire ». Nous sommes « sommés de voter, ou socialiste ce qui ne sert strictement à rien, puisque c’est leur politique qui fournit le terreau du Front national, ou bien pour l’UMP, qui est la copie conforme du Front national », a-t-il poursuivi avec véhémence, considérant que cette absence de choix était un « traquenard politique permanent ».
Même son de cloche à EELV, qui appelle l’exécutif à « entendre les aspirations au changement ». Au PS, aussi, certains élus commencent à tenir ce discours publiquement. Le porte-parole des députés, Thierry Mandon, l’a reconnu publiquement lors de sa conférence de presse, ce mardi.
« Nous prenons cette élection comme un moment important, ce n’est pas une partielle comme les autres ni l’une après les autres, mais un clignotant rouge adressé par des citoyens excédés au gouvernement, à la majorité et à tous les partis de gouvernement ».
Et d’ajouter qu’il avait conscience qu’il « faudra du temps pour répondre aux maux qui ont éclaté à la figure de tout le monde ».
Pour autant, à l’Elysée, il n’y a aucun changement de politique programmé. Le Président et son ministre du Travail, Michel Sapin, étant toujours convaincus, malgré les prévisions de l’Insee, d’un recul du chômage d’ici la fin de l’année. Aux yeux du gouvernement, la meilleure réponse pour faire reculer le vote FN et pour mobiliser l’électorat de gauche. Et un ministre d’ajouter : « comment voulez-vous qu’on change de politique ? Les marges budgétaires n’existent pas ! » Dans la majorité, certains, effarés d’une telle réaction, prévoient déjà de partir au combat des municipales « avec le logo du PS en tout petit ». « Pour que ça ne fasse pas trop peur à l’électorat », lancent-ils mi-figue, mi-raisin. Histoire aussi d’essayer de passer le premier tour et d’éviter le cassus belli du front républicain.