Le théâtre du Châtelet a accueilli mardi 18 juin une soirée de soutien au peuple grec organisée par Mediapart et Reporters sans frontières. De la musique, des mots forts et des valeurs rappelées et défendues dans un « Appel du Châtelet », dont Les Inrocks sont signataires : indépendance de l’information, pluralisme des opinions et liberté de la culture. Compte-rendu.
« Nous sommes deux, nous somme trois, nous sommes mille… ». C’est la douce voix du regretté Georges Moustaki qui a accueilli mardi 18 juin le public venu assister à la soirée. Près de 1500 personnes ont rempli la belle salle du Théâtre du Châtelet : Grecs expatriés, Français curieux venus s’informer, militants, membres d’associations ou de collectifs plus ou moins politisés. A l’entrée, un homme portant le masque des Anonymous brandissait une pancarte : « Austérité + corruption = écrans noirs sur nos vies ».
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En privant brutalement les grecs de leur audiovisuel public (l’ERT) – télés et radios ont été contraints d’arrêter leur diffusion mardi 11 juin – le gouvernement grec et son premier ministre Antonis Samaras ont envoyé un signal désastreux, dont les ondes se répercutaient hier soir à Paris. 2700 employés licenciés (un chiffre énorme pour ce petit pays de 10 millions d’habitants), cinq chaînes de télé, vingt-cinq radios et trois orchestres nationaux concernés… Lundi, le Conseil d’Etat grec a décidé d’annuler la fermeture abrupte de l’ERT et d’imposer la reprise des antennes. Mais Antonis Samaras entend toujours réformer et dégraisser l’ERT, au risque de faire imploser la fragile coalition gouvernementale, composée du Pasok (socialiste), de Dimar (gauche démocratique) et du parti de M. Samaras, Nouvelle démocratie (droite).
Hier, au théâtre du Châtelet, la chanteuse Katerina Fotinaki a ouvert le bal des interventions en prouvant que l’art pouvait être plus que jamais politique. Accompagnée du premier alto de l’Orchestre national de l’ERT, elle a commencé par ses quelques mots : « Ils ont pris ma voix, ils ont coupé mes ailes. Comment pourrais-je chanter ? ».
Un Printemps des médias
Après cette introduction musicale, Edwy Plenel a investi la scène, accompagné de Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. « Ce soir, nous sommes tous des Grecs », a lancé le patron de Mediapart sous les applaudissements. « L’Europe est un mot grec qui signifie ‘celle qui voit bien’, si nous sommes ici ce soir c’est pour dire à l’Europe de voir mieux », a-t-il poursuivi. Christophe Deloire a rappelé pour sa part que « jamais l’ERT n’avait été empêchée d’émettre depuis l’occupation nazie ». « La Grèce a besoin d’un Printemps des médias », a-t-il lancé.
Replay «En direct de Mediapart» : en soutien au… par Mediapart
Puis ce fut au tour d’Anne Hidalgo – adjointe au maire de Paris et candidate à sa succession – de prononcer quelques mots de bienvenue, perturbés par quelques sifflements. Certains dans la salle, parmi les plus militants, reprochent en effet au Parti socialiste français son « attitude ambiguë et son acceptation tacite de la situation grecque », dixit un militant grec. Edwy Plenel a calmé le jeu : « La division de ceux qui résistent fait toujours le jeu de ceux qui veulent la fin de la démocratie », a-t-il dit au micro.
Thomais Papaïoannaou, correspondante de l’ERT à Paris, a pris la parole à son tour. « Voilà 12 ans que je travaille pour l’ERT mais il est probable que ça s’arrête bientôt », a-t-elle regretté, « car je suis très critique envers les actions du gouvernement. » Elle a dressé un bilan catastrophique d’une Grèce assommée par les mesures économiques imposées par la Troïka (FMI, BCE et Commission européenne) en échange de son aide financière. Elle a aussi rappelé que l’ERT n’était pas très aimée en Grèce, accusée d’être un service étatique plutôt que public. « C’est un malade entré dans le coma qu’on va maintenant tuer ». Elle a ajouté: « Réformer l’audiovisuel public grec est une bonne chose. C’est la manière de le faire qui est insupportable ».
« Imaginons-nous un dimanche sans Michel Drucker ? »
Elise Lucet, excusée, a tout de même laissé une lettre de soutien amusante : « Imaginons-nous en France un dimanche sans Michel Drucker ? Je sais, ça vous fait rire… » La prise de parole de Jean-Paul Philippot, président de l’Union européenne de radiodiffusion (UER), a été très applaudie. « Il s’agit d’un combat », a-t-il affirmé. « Enlever à un journaliste sa plume, son micro, éteindre sa caméra, c’est bâillonner la démocratie. » L’UER a apporté un soutien matériel et concret à l’ERT. Ils lui ont fourni des capacités satellitaires pour continuer d’émettre et hébergent sur un site web à Genève les contenus toujours produits par le personnel de l’ERT. Des actions qui lui ont valu des menaces de poursuites judiciaires de la part du ministre des finances grec. « Nous devons nous insurger », a conclu Jean-Paul Philippot.
Mathieu Gallet, président de l’INA, a rappelé que le service des archives de l’ERT, un trésor historique, était déjà fermé depuis 18 mois. Il a également insisté sur le rôle essentiel du service public audiovisuel dans le financement et la diffusion de la création culturelle. « Le cinéaste Theo Angelepoulos n’aurait pas pu faire ses films sans l’ERT », a-t-il donné en exemple. Des propos appuyés par le président du CSA, Olivier Schrameck, qui a aussi évoqué l’importance du pluralisme et de la coexistence entre le public et le privé. « L’Europe c’est avant tout des valeurs ». Quelqu’un dans la salle a crié : « C’est pas vrai ! Valeurs du marché, de la bourse ! ». Edwy Plenel a doucement secoué la tête en signe de désapprobation.
« Résistance ! »
Le professeur de philosophie politique Statis Kouvelakis a lancé une charge violente contre le gouvernement grec et « la mise sous tutelle de la Troïka ». Encouragé par des « bravo ! » et de nombreux applaudissements, il a terminé son discours le poing brandi, assurant que « l’esprit de résistance et de liberté finira par l’emporter. » Une bonne partie de la salle s’est levée en scandant « Résistance ! Résistance ! ». La soirée s’est terminée en musique avec le retour de l’envoutante Katerina Fotinaki, qui a offert un mini-concert habité aux personnes présentes dans la salle ou sur le site de Mediapart qui diffusait l’évènement en temps réel.
Marguerite Papazoglou, grecque expatriée en France depuis 12 ans, est abonnée à Mediapart. Son père était journaliste à l’ERT : « c’est toute mon enfance », a-t-elle confié. « Quand tu éteins la télé, tu fermes une fenêtre dans la maison de chaque grec, tu leur mets le noir en face du visage ». Elle et ses amis ont apprécié cette soirée de solidarité mais regrettent tout de même que la parole n’ait pas été donnée au public. Malgré tout Marguerite s’est dit « très contente » et espère que la soirée servira de « déclic ». Edwy Plenel semblait lui aussi satisfait de la soirée, avec tout de même un regret. « Ce qui me stupéfie », a-t-il déclaré, « c’est que je n’ai vu aucun journaliste du service public, pas un micro de France Inter, pas une caméra de France 2. Si nos confrères et consœurs ne nous soutiennent pas, comment va-t-on résister ? »
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