Comme il a fallu un quart de siècle pour qu’elle renaisse, faudra-t-il vingt-cinq ans pour se remettre de Twin Peaks : The Return, qui s’est terminée au début du mois ? L’hypothèse est plausible, tant la secousse, profonde, n’a pas encore fait ressentir toutes ses répliques. L’aventure a commencé par un paradoxe pop contrariant : série la plus […]
Déjouant toutes les attentes, la troisième saison de Twin Peaks aura été de bout en bout une sidération.
Comme il a fallu un quart de siècle pour qu’elle renaisse, faudra-t-il vingt-cinq ans pour se remettre de Twin Peaks : The Return, qui s’est terminée au début du mois ? L’hypothèse est plausible, tant la secousse, profonde, n’a pas encore fait ressentir toutes ses répliques.
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L’aventure a commencé par un paradoxe pop contrariant : série la plus attendue de l’année, cet objet audiovisuel mutant est devenu, après la diffusion des premiers épisodes, une étoile lointaine dont peu percevaient la lumière. Trop compliqué. Trop lent. Pas assez linéaire. Lynch en roue libre.
Une géographie et une familiarité récurrentes
Les amateurs du genre, premiers concernés par le retour de la mère de toutes les grandes séries d’auteurs contemporaines, de ce phare absolu de la création concernant leur médium préféré, ces amateurs ont été les premiers à crier au loup. Les audiences, elles, ont vite sombré.
Le malentendu semble profond. L’originale, diffusée entre 1990 et 1991, travaillait frontalement le genre auquel elle appartenait. Twin Peaks fut à la fois une parodie de soap-opera, un thriller à clé (qui a tué Laura Palmer ?) et la chronique d’une communauté viciée de l’Etat de Washington. Le tout nappé d’une musique doudou, merci Angelo Badalamenti.
Si cet équilibre tremblait sur ses bases pour vriller constamment vers l’horreur et la cruauté – notamment celle des hommes envers les femmes –, au moins chacun pouvait-il ressentir une géographie et une familiarité récurrentes. Cette fois, la même série (ou bien était-ce son double ?) a décidé de considérer ses rituels de manière différente.
Un grand festin romanesque sans roman, voilà ce à quoi nous avons été conviés
Il n’a pas été question de raconter une histoire, ou par bribes, sauts de puce, grands écarts entre Las Vegas, le Texas et les bois du Nord. Il a été question de raconter l’Histoire, d’ausculter les chairs d’un pays et de balayer ses mythes – thème central du travail de David Lynch depuis toujours – tout en incarnant une autre forme de récit : le passage du temps sur les corps et les cœurs. Un grand festin romanesque sans roman, voilà ce à quoi nous avons été conviés.
Une satire féroce du système social américain
Fidèle à sa nature fantastique, Twin Peaks : The Return a d’abord coupé Cooper en deux. Son héros positif (et agent du FBI disparu depuis un quart de siècle) s’est scindé entre une version maléfique de lui-même, un assassin en blouson de cuir, et une autre, Dougie, de la classe moyenne suburbaine. Cet homme aux costumes colorés, incapable de communiquer sinon pour répéter la dernière phrase des gens en face de lui, a traversé les épisodes en imbécile heureux à qui tout réussit, évoquant à la fois une satire féroce du système social américain rendu à la bêtise, et la mise à plat d’un personnage majeur.
Comme si, dans un monde soumis au mal, la seule issue pour incarner un Cooper bienveillant était de repartir à zéro, en réinitialisant le logiciel. Comme si la seule façon pour Lynch de faire retour était de mettre en scène l’impossible retour. Geste de subversion ultime, un personnage sans substance est devenu un héros de série.
La mort a cerné « Twin Peaks » à travers les comédiens décédés
La grande histoire, elle, s’est invitée lors de l’épisode 8, ponctué d’un flash-back sur une explosion nucléaire dans le désert du Nouveau Mexique en juillet 1945. On comprend alors que l’événement a donné naissance à Bob, la figure du mal de Twin Peaks – ce monstre aux cheveux longs avait poussé Leland Palmer à tuer sa propre fille Laura et investi le corps de Cooper. L’origine de la violence américaine a été l’un des sujets centraux de la saison, avec des références au sort des Indiens. Sans que Lynch, pourtant capable d’une douceur infinie, ne décèle une pointe d’espoir dans la nuit.
Le pessimisme était partout – on se souvient de l’étouffante scène de mort d’un enfant, sous les yeux effarés de Harry Dean Stanton. D’où peut-être la déception, l’impossibilité de voir ça. La mort a cerné Twin Peaks à travers les comédiens décédés avant, pendant et après le tournage – David Bowie, Miguel Ferrer, Catherine Coulson et maintenant Stanton –, des amis auxquels Lynch offre des sorties délicates. D’autres ont seulement vieilli.
Une réalité faite de cris, d’angoisse et de restes d’amour
L’émotion considérable de ces dix-huit épisodes s’ancre dans une mélancolie jamais compliquée. Au rêve de permanence et d’éternel retour – qu’il a parfois donné l’impression de vouloir offrir en réalisant une nouvelle saison de Twin Peaks –, Lynch a opposé systématiquement la mortelle réalité. Une réalité faite de cris, d’angoisse et de restes d’amour.
On croyait le genre sériel parvenu à un état ultime de sophistication et voilà qu’un septuagénaire a tout renversé. Même The Leftovers paraît sage à côté. L’opposition séries/cinéma est dépassée pour accoucher d’une œuvre personnelle et sans descendance, déjà orpheline d’elle-même. Une incarnation de la solitude.
Twin Peaks : The Return Disponible sur MyCanal
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