Girls, la série créée en 2012 par Lena Dunham, et produite par Judd Apatow est incontestablement la série du moment. Alors que se termine la deuxième saison – une troisième est d’ores et déjà prévue en 2014 – c’est l’heure du bilan des pérégrinations de nos quatre girls new-yorkaises.
Avouons-le sans honte : on a tremblé lorsque le générique de fin du dernier épisode de la deuxième saison de Girls a déroulé son voile noir. Des tremblements de joie, d’abord, dus à la scène conclusive so romantic, dont on ne dévoilera pas les détails sous peine de remettre en cause la loi tacite anti-spoiler. Des tremblements tous tristes, ensuite, parce qu’on ne reverra par la série de Lena Dunham avant 2014, ce qui fait un peu long étant donné son importance dans la pop culture actuelle. Bien que peu de monde la regarde, tout le monde en parle, un peu comme The Wire en son temps, pour des raisons radicalement différentes. Parfois portée aux nues, parfois critiquée pour sa vision du monde trop « petits blancs de Brooklyn », Girls s’est pourtant imposée comme l’une des plus belles séries actuelles, à la fois générationnelle, extrêmement inventive et universelle. Petit bilan d’une saison deux attrape cœur à l’aide de trois mots clefs.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
LE SEXE
C’est le buzz principal de Girls et l’un de ses sujets profonds. Lena Dunham, créatrice, scénariste, réalisatrice et actrice principale, se montre nue plusieurs fois par épisodes. Cette exhibition totale et frénétique (se souvenir du dernier plan incroyable sur ses fesses dignes de Botero dans l’épisode 1) est souvent émouvante. Elle sert une vision de la sexualité libérée des précautions usuelles. Même si le corps de miss Dunham est le premier concerné, tous les personnages ou presque participent à la fête – rappelons que Girls parle de quatre copines new-yorkaises de vingt ans et des poussières se posant des questions à la fois naïves et brutales sur leur place dans le monde. La série saisit de front la problématique majeure des meilleures productions télé contemporaines : l’intimité dans tous ses états, même si elle tache.
Dans l’épisode 9, on a même droit à un plan candide sur les restes encore chauds d’une douche de sperme. Du YouPorn arty, en somme, qui plus est mis en scène par une fille, ce qui change tout. Mais aussi du cinéma d’auteur nouvelle manière. On a souvent comparé la touche Dunham à celle de Woody Allen. C’est effectivement tentant, à cause de leur proximité géographique et thématique. Mais pour le réalisateur de Manhattan, le sexe est d’abord une affaire de mots et de regards, tandis que chez Lena Dunham, la chair vient s‘ajouter frontalement au débat. Ici, on parle beaucoup et on commente ses actes en direct ; on baise un peu partout, plus ou moins bien, pas toujours mal non plus. Dans cette saison, l’étiquette « sexe triste » qui avait été accolée à la série disparaît d’ailleurs assez habilement. « Où est l’échec sexuel ? » demande son éditeur à Hannah qui lui rend un manuscrit décevant. Il a été remplacé par le goût de l’expérimentation et des sensations fortes. Et quelques répliques drôles en forme de mises au point bien senties : « Je peux aimer ta queue sans être une pute« .
L’AMOUR
Destinée aux obsédés sexuels comme aux cœurs tendres, Girls propose une version contemporaine de la comédie romantique, sans pour autant copier un modèle. De Sex and The City à Nuits blanches à Seattle, Hannah, Marnie, Shoshanna et Jessa ont tout vu, mais presque rien assimilé. Leur vision de l’amour reste largement aléatoire. Elles le considèrent comme une matière chimique instable qui met un certain temps à trouver une forme comestible. À leur âge, l’idée de s’engager appartient à un autre espace-temps. Mais les sentiments restent brutaux et imprévisibles. Cela donne des relations flottantes et arythmiques. Dans la première saison, la love story de l’héroïne Hannah avec son beau mec bizarre Adam avait muté au fil des épisodes. D’un couple qui ne dit pas son nom, les deux étaient devenus presque inséparables sans vraiment s’en rendre compte. Au point de prendre peur.
Au début de cette saison 2 (attention spoiler !) tout explose. Hannah préfère subitement la solitude, une solitude qu’elle s’évertue à peupler de garçons passagers. Ses copines ne sont pas en reste. Jouant avec les structures habituelles du conte de fée, Girls déploie alors une autre temporalité de l’amour, se permettant de passer un temps infini sur des épiphénomènes (les engueulades durent toujours des plombes) ou d’accélérer brusquement le rythme pour atteindre une émotion forte au plus vite. C’est le cas dans l’épisode 4 de cette deuxième saison, l’un des plus beaux et des plus atypiques, qui concentre en quelques scènes ce que d’autres, films ou séries confondus, auraient pris soin de mettre en exergue longuement – voir la scène magnifique dans le métro avec Shoshanna. Girls aime brûler ses atouts. Ici, rien ne dure, mais tout le monde pleure.
LA SOUFFRANCE
C’est l’un des motifs les plus marquants de Girls, où les scènes de bonheur sans arrières pensées n’existent pas. La souffrance et son corollaire, la dépression, nimbent toute la série. Ils constituent même le sujet principal des deux derniers épisodes ébouriffants de cette saison, dont on ne pourra parler sans évoquer des points clefs de l’intrigue. Vous êtes prévenus. Avec entre autres le personnage principal de Homeland (une espionne bipolaire) ou le colérique Dr House lui-même (un moment interné en hôpital psychiatrique), Hannah allonge la liste des héros télé souffrant de troubles du comportement. « Il se passe des trucs biens noirs à l’intérieur de ta tête », lui lance son voisin toxico. Avec raison.
Dans son cas, il s’agit de la résurgence de TOC (Troubles obsessionnels compulsifs) qui étaient restés éteints depuis l’adolescence et se montrent très violents dans leur manifestation – les stressés du coton-tige ressortiront traumatisés de la vision de l’épisode 9. Lena Dunham est d’ailleurs atteinte de cette maladie, ce qu’elle a évoqué à plusieurs reprises, notamment dans le documentaire que consacrait récemment Sundance Channel à sa relation avec son mentor (et producteur exécutif de la série) Judd Apatow. Impudique, l’utilisation de cette souffrance réelle pour la transformer en fiction semble naturelle pour celle qui conçoit Girls comme une tentative d’autofiction, un terme d’habitude réservé à la littérature. Et l’autofiction n’a rien à voir avec le chantage au vécu. Rien de tel ne nous est infligé ici. Ne reste que la douleur, puissante et ramassée. À bien y réfléchir, on n’aura pas trop d’une petite année pour se remettre de nos émotions avant la saison trois.
{"type":"Banniere-Basse"}