Très bien entourée par Air, Jarvis Cocker, Neil Hannon et Nigel Godrich, Charlotte Gainsbourg offre un album où elle s »épanouit comme jamais.
A quelques furtives exceptions près (un titre charmant sur la BO de Love etc., un If en duo avec Daho), Charlotte Gainsbourg n’avait pas posé une ballerine dans un studio d’enregistrement depuis vingt ans. Le frêle Charlotte for Ever, pourtant, à l’image du navet du même nom, est loin d’avoir tenu ses promesses d’éternité, et l’aventure qui continue ici exhale un fort parfum de commencement.
Créature gainsbourgienne ultime – la seule provenant du sang de S. G., les autres devant se contenter, au mieux, de son esprit –, Charlotte a le bon goût, tout au long de ce second premier album, de ne pas tenter de camoufler grossièrement l’inévitable influence divine, et ceux qui l’accompagnent – Air et Nigel Godrich notamment – ont assez de cran et de tact pour s’immiscer dans ce défi intime et risqué.
Quant aux auteurs – Jarvis Cocker et Neil Hannon : pas vraiment aux fraises, Charlotte, lorsqu’elle recrute des employés –, ils avaient l’anglais, voulu par la commanditaire, comme paratonnerre aux foudres de ceux qui s’amuseraient à faire dans la littérature comparée. En commençant par la fin, par ce “precious, forbidden ghost” de Morning Song grand ouvert à l’interprétation œdipienne (un Lemon Incest à l’envers, d’outre- tombe ?), certains voyeurs penseront dénicher ce qu’ils étaient venus trouver.
Jusque-là, Charlotte s’est baladée en héroïne shakespearo-gainsbourgienne (Ophélie Nelson ?), sur des orchestrations qui confirment les surdoués de Air en seuls héritiers valides de Gainsbourg père et de ses grands arrangeurs (Michel Colombier, Jean-Claude Vannier), l’empreinte musicale du duo associée à la méticulosité de Godrich atteignant son zénith classieux tout au long de 5:55.
Ces basses arrondies, ces majestueuses cascades de piano, ces cordes épousant le roulement de vagues surréelles, ces guitares acoustiques comme taillées dans le bois de forêts ensorcelées, on peut dire que la princesse Charlotte a droit au plus beau des royaumes. Elle le mérite, elle chante admirablement, subtilement désincarnée mais jamais absente, et les textes l’honorent comme personne, pas même un metteur en scène – y compris vous savez qui – n’avait su le faire.
Le meilleur titre du lot, Beauty Mark, qui atteint le même degré de sublime que Playground Love sur Virgin Suicides, est une ode sensuelle à un grain de beauté et nous procure la seule réflexion chipoteuse : à tant de beauté ne manque-t-il pas justement un grain ? Réponse avec Everything I Cannot See, où Charlotte se bouscule un peu, se lâche enfin pour chanter avec autant d’engagement qu’une Cat Power. Alors, soyons généreux, 5:55 et ses airs de note de patinage artistique mérite une autre cotation : 10/10.