A peine venait-on de terminer notre interview des frères Safdie à Cannes, en mai dernier, qu’ils nous proposaient, voyant leur scénariste Ronald Bronstein siroter un verre derrière eux, de l’interviewer. Au débotté. Proposition impossible à refuser quand on sait, d’une part, la proximité qu’il entretient avec le duo (c’est presque un troisième frère), d’autre part, […]
Réalisateur d’un seul film, le très culte et survolté Frownland, Ronald Bronstein est aussi acteur, monteur, scénariste pour les frères Safdie. Il nous parle de Good Time, de Robert Pattinson et son statut de mentor underground
A peine venait-on de terminer notre interview des frères Safdie à Cannes, en mai dernier, qu’ils nous proposaient, voyant leur scénariste Ronald Bronstein siroter un verre derrière eux, de l’interviewer. Au débotté. Proposition impossible à refuser quand on sait, d’une part, la proximité qu’il entretient avec le duo (c’est presque un troisième frère), d’autre part, la rareté de ses prises de parole. On s’assit donc aux côté de “Ronnie”, comme Josh et Bennie l’appellent affectueusement, avec l’envie d’en savoir un peu plus sur le fonctionnement internet du réacteur Safdie, mais aussi sa propre personnalité de réalisateur, qui n’eut jusqu’à présent l’heur’ de se manifester qu’une fois — mais quelle fois ! —, avec Frownland, en 2007. Cet unique long-métrage, peu vu mais remarqué par la critique à l’époque, témoignait d’un bouillonnement psychique étourdissant, ainsi que d’un courage indéniable, pour mener le projet à son terme — « underground » n’étant pour une fois pas galvaudé. Si l’on a retrouvé le personnage singulier et bouillonnant auquel on s’attendait, Bronstein est infiniment plus avenant que le personnage principal de Frownland. Plus avenant, mais tout aussi bavard et décousu…
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Vous êtes réalisateur, scénariste, monteur, acteur, projectionniste…
(il nous interrompt) J’ai beaucoup de mal à me dire scénariste. Ou même tout ce que vous venez de citez. D’abord je ne suis plus projectionniste. Ensuite, c’est la première fois avec Good Time que je suis vraiment payé, c’est-à-dire en avance, pour écrire un film. Je ne me plains pas. J’apprécie le fait d’être underground, dans le royaume des idées et du travail, et pas dans celui de la représentation. Jusqu’à présent je n’ai rien calculé, j’ai juste trébuché d’un projet à l’autre, de Frownland à Lenny and the Kids, puis de Mad Love in New York à Good Time. Et je n’ai pas la moindre idée de ce que je ferai après ça.
Comment êtes-vous devenu un des collaborateurs les plus proches de Josh et Bennie Safdie ?
C’est juste après Frownland que… (Il réfléchit) Vous savez que je n’avais jamais revu Frownland après l’avoir terminé, et ce n’est que récemment que je l’ai fait, lorsque quelqu’un m’a demandé la permission de le projeter il y a deux mois. J’ai refusé de faire un Q&A à la fin, mais j’ai accepté de le projeter moi-même, pour être libre de le regarder ou non. Et ce ne fut pas une expérience plaisante. Je me suis senti mal. Ca m’a convaincu de ne plus le refaire !
Mais vous n’avez pas répondu à ma question…
Ah oui, pardon. Donc ils ont vu mon film à la première à New York, et Josh est venu me parler. J’avais moi-même vu leurs courts-métrages à un festival et avais été très impressionné. Très frontalement, il m’a demandé si je voulais jouer Lenny, le père dans Lenny and the Kids (qui s’appelait à l’époque Go Get Some Rosemary). Je n’avais jamais joué, dans aucun film, et je suis plutôt du genre à dire non, mais allez savoir pourquoi, peut-être parce que je ne voulais pas qu’on puisse me taxer de lâche, cette fois-ci j’ai accepté… (il réfléchit) Oui c’est ça : c’était un geste contre-phobique, que j’ai fait non parce que je voulais le faire, mais parce que j’ai soudain pris conscience de ce qu’un refus signifierait quant à mon identité. Donc voilà, je l’ai fait, puis je me suis retrouvé à co-monter le film, puis à co-écrire les suivants, et désormais je me dis que c’est la meilleure chose qui me soit arrivée.
Vos scénarios sont-ils très précisément écrits, ou au contraire plein d’air, pour laisser place à l’improvisation ? En voyant le résultat, je pencherais pour la seconde option…
Josh et moi avons horreur des scénarios trop charpentés (“overplotted”), plein de motifs externes justifiant l’action des personnages. On préfère le behaviorisme, c’est-à-dire nous concentrer sur l’action plutôt que sur la psychologie. La narration n’étant que la somme des actions… Mais en réalité on n’a pas de méthode prédéfinie. Notre écriture est très bordélique, démentielle, non-professionnelle — l’inverse de ce qu’ils recommandent dans les manuels de scénario ! Je participe aussi au montage, qui est une forme d’écriture. Souvent, après le premier montage où on a abandonné plein de pistes qui ne marchaient pas, on se retrouve avec un truc monstrueux et on est obligés de retourner pour boucher les trous. C’est une liberté essentielle qu’on s’octroie.
Le point de départ de Good Time, c’est Robert Pattinson. Qu’est-ce qui, chez lui, dans sa personnalité ou ses rôles précédents, vous a inspiré pour lui écrire le rôle de Connie ?
Dans ses rôles précédents ? Je n’ai vu aucun de ses films. A vrai dire, je vois très peu de films… Je ne sais pas si c’est le fait d’en avoir projeté tellement, ou si c’est le fait d’en faire désormais, mais ma “suspension de l’incrédulité” est très endommagée. Je n’y crois simplement plus, je n’arrive plus à me projeter moi-même. Je ne suis pas anti-cinéma pour autant, ne me faites pas dire ça, mais ce n’est simplement plus le lieu où je vais me nourrir intellectuellement. C’est sans doute triste mais c’est comme ça (rires). Mais d’une certaine manière, je crois que ça m’a déformé professionnellement, et en bien. C’est ça que cherchent Josh et Bennie chez moi : je vais naturellement vers les idées les plus défectueuses, celles que tous les autres scénaristes auraient rejetées. J’adore partir de l’idée qui paraît la plus nulle, la plus absurde, et lui trouver une issue, créer un contexte autour d’elle pour lui permettre d’exister malgré tout.
Concrètement dans Good Time, quelle serait cette idée foireuse ?
Eh bien, l’idée que Connie se fait de son futur par exemple : elle est complètement débile ! Il n’a aucune chance d’y arriver. Dans sa tête il se fait un film d’action conçu par un enfant de 13 ans qui aurait trop regardé la télé. Braquer une banque sans flingue, avec un frère handicapé qu’il connaît à peine, tout ça pour fuir dans une ferme au milieu des bois alors que l’endroit le plus sauvage où il ait probablement jamais mis les pieds est Central Park… I mean, come on… Et pourtant je crois que ça marche dans le film.
Vous avez des projets de film, en tant que réalisateur ?
Franchement je ne sais pas. Le précédent a été une expérience douloureuse. Me présenter face au public, partager, être interviewé… Ce ne sont pas des choses naturelles pour moi. Si on accepte l’approbation d’étrangers, alors on signe inconsciemment un pacte avec soi-même qui oblige à accepter la désapprobation d’autres étrangers, et on entre dans une dynamique que je trouve… malsaine. Pour réaliser, il faut crier sur des gens, perdre des amis, faire de la promotion… Josh et Bennie sont très forts pour ça, ils s’en nourrissent. Moi je suis différent. Mais je suis très content comme je suis. Je veux juste exister dans la royaume des pures idées. Faire un avec elles.
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