En abrogeant les principales dispositions en matière de garde à vue, le Conseil constitutionnel impose au gouvernement et au Parlement de repenser tout le système d’ici un an.
Le Conseil constitutionnel lâche un parpaing sur le Code de procédure pénale, dans une décision très attendue
rendue ce vendredi. C’est tout le système des gardes à vue dites “de droit commun” (hors terrorisme, trafic de stupéfiants et criminalité en bande organisée) qui devra être rénové. Plusieurs articles du Code de procédure pénale organisant ses modalités ont été déclarés non conformes à la Constitution.
Depuis plusieurs mois, le débat sur les gardes à vue redouble. Les premières salves, venues des avocats, visaient à
imposer leur présence pour assister leur client pendant les interrogatoires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Assistance effective »
La règle actuelle “ne permet pas à la personne ainsi interrogée […] de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat”, ont décidé les Sages. “Assistance effective”, c’est-à-dire présence accrue de l’avocat durant la procédure, un principe plusieurs fois réaffirmé dans des décisions européennes. Selon la politique voulue par le législateur, il pourra ou non assister aux interrogatoires et avoir accès au dossier de son client.
Le président du syndicat des avocats de France, Jean-Louis Borie, salue “une décision extrêmement positive”. “On va en finir avec cette situation qui voulait que les avocats ne soit qu’un réconfort pour les prévenus”. « Le Conseil constitutionnel a su tirer les conséquences de toutes les sonnettes d’alarme qui ont été tirées depuis un an« , se félicite Clarisse Taron, du Syndicat de la magistrature.
Le syndicat de police Alliance, lui, ne voit pas le décision d’un oeil joyeux. “Nous sommes surpris et inquiets”, explique Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint, pour qui “la présence de l’avocat peut ralentir ou anéantir l’enquête”. C’est comme “montrer son jeu de carte à l’adversaire”.
Moins catégorique, Yannick Danio, du syndicat Unité-SGP Police, ne s’y oppose pas forcément, mais réclame en contrepartie un allégement de la procédure pour les policiers. “Les avocats vont également devoir évoluer”, lance-t-il, et “se déplacer dans les commissariats de banlieue les plus putrides”, témoins de “la clochardisation des services de police”.
800000 gardes à vue en 2009
Au Conseil constitutionnel cependant, on met en garde : “s’intéresser à la question de la présence des avocats pendant la garde à vue revient à n’envisager le dispositif que par le petit bout de la lorgnette.”Le Conseil “ne se prononce pas sur ce point particulier mais préconise le rééquilibrage de l’ensemble du dispositif” tout en précisant que “la garde à vue est un principe nécessaire”.
En janvier, le journaliste Matthieu Aron
avait révélé qu’en 2009, 800000 personnes (et non 600000, le chiffre officiel) avaient été placées en gardes à vue. Dont une bonne partie pour des délits routiers qui ne nécessitaient peut-être pas une telle coercition.
La réforme de la justice, repoussée sans date précise par le ministère, devra donc prendre en compte ces derniers développements, à intégrer dans la loi avant le 1er juillet 2011. Ce délai permet d’éviter le chaos dans toutes les procédures en cours. A l’annonce de la décision, la Chancellerie
a annoncé qu’elle allait « enrichir » le projet de réforme de la garde à vue et le transmettre «
très prochainement » au Conseil d’Etat.
Bien entendu, les gardes à vue qui ont déjà eu lieu jusqu’alors ne pourront pas être contestées. Les gardes à vue pour terrorisme, trafic de stupéfiants ou criminalité organisée, qui obéissent à un régime particulier (96 heures, intervention de l’avocat à la 72e heure seulement), n’ont pas été déclarées inconstitutionnelles. Une déception pour le Syndicat de la magistrature, qui parle de «
décision à minima« .
Pour Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de Paris, « on y viendra bien un jour« . L’avocat, qui en novembre dernier avait considéré les gardes à vue comme « toutes illégales« estime que « la garde à vue à la française est morte« . Il y voit « une sorte de retour à certains principes fondateurs de la République française : le respect de la personne humaine et la présomption d’innocence. »
Le Conseil était saisi par une quarantaine de particuliers, grâce à la nouvelle procédure du 1er mars 2010.