Révélée chez Paul Verhoeven dans La Chair et le Sang, Jennifer Jason Leigh est au fil du temps devenue une figure récurrente du cinéma indépendant, enchaînant les apparitions chez Cronenberg, les frères Coen et récemment devant la caméra des Safdie, Tarantino et même David Lynch. Focus sur une icône insoumise au look féminin déglingué.
La carrière foisonnante de Jennifer Jason Leigh au sein du cinéma indépendant haut de gamme américain a trouvé un nouveau rebond l’an dernier avec Les Huit Salopards de Quentin Tarantino. Mais cela fait déjà plus de trente ans qu’elle fréquente le meilleur du cinéma US. Femme capitaliste (ExistenZ) ou sociopathe (J.F. partagerait appartement), badass (Twin Peaks) ou diabolique (Les Huit Salopards), elle aspire une féminité quasi unique, souvent violente, où même l’apparente soumission touche à des zones de trouble (La Chair et le Sang de Paul Verhoeven hier, Good Time des frères Safdie aujourd’hui). Et n’oublions pas Jane Campion, les frères Coen, Ron Howard, Robert Altman ou Sam Mendes. Souvent entourée d’hommes, mais jamais dans leur ombre, JJL est une figure insoumise du cinéma indépendant. Retour sur une carrière frénétique en huit rôles marquants.
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La Chair et le Sang de Paul Verhoeven (1985)
Le film de Paul Verhoeven constitue le premier temps fort de la carrière de JJL. Son rôle d’Agnès, la promise du fils du seigneur Arnolfini, est ici complètement inversé par Verhoeven, révélant par la même occasion au grand public tout le naturel du jeu de l’actrice : elle s’affirme déjà comme une femme forte qui se joue des hommes autour d’elle. Suite à son kidnapping, sa figure de princesse devient petit à petit celle d’une nymphomane usant du sexe et de l’homme prédateur comme de véritables instruments de survie. Comme toujours avec le réalisateur de Elle et Basic Intinct, la femme est vecteur de perversité et influe directement sur la dramaturgie – ainsi, l’actrice rejoint Sharon Stone et Isabelle Huppert dans cette entreprise de manipulation verhoevienne.
J.F. partagerait appartement de Barbet Schroeder (1992)
Jennifer Jason Leigh incarne ici Hedy, une jeune femme sociopathe qui cherche à ressembler coûte que coûte à Allie, sa colocataire qui tente de combler le vide suite à sa rupture avec son petit ami. Rapidement, Hedy s’habille comme Allie et arbore une coupe de cheveux similaire. Mais ce désir d’être l’autre devient rapidement le prisme du trouble de l’identité, du sexe et du meurtre. Un rôle glaçant et de méchante qui va comme un gant à JJL.
Short Cuts de Robert Altman (1993)
L’année suivante, elle est membre de la troupe d’acteurs du film choral de Robert Altman intitulé Short Cuts, Lion d’Or 1993 au Festival de Venise. Elle tourne aux côtés d’Andie McDowell (Sexe, mensonges et vidéo), Julianne Moore, Robert Downey Jr. et Frances McDormand – des interprètes également révélé(e)s pendant les années 90′. Elle y incarne Lois Kaiser – un nom de famille qui donne un air impérial à l’actrice –, femme mariée travaillant à domicile en tant qu’opérateur téléphonique sexuel qui, pendant qu’elle s’adresse à de parfaits inconnus, s’occupe de ses enfants. Un rôle une fois encore de marginale à côté de la plaque qui lui va à merveille.
Le Grand Saut des frères Coen (1994)
Après le maître Altman, JJL revient vers des cinéastes de sa génération avec les frères Coen, tout juste récompensés de la Palme d’Or pour Barton Fink. Dans Le Grand Saut (coécrit avec Sam Raimi), l’actrice prête ses traits à une journaliste infiltrée. Voilà un rôle qui diffère de ses précédents : énergique, loquace, bien sapée et un professionnalisme hors pair. C’est aussi l’un de ses nombreux rôles de femme entourée d’hommes plus ou moins recommandables – avant ExistenZ et Les Huit Salopards. Elle retrouvera les Coen sept ans plus tard pour un petit rôle dans The Barber.
eXistenZ de David Cronenberg (1999)
La carrière de JJL est marquée par une sorte de féminisme ardent que l’on retrouve dans le eXistenZ de Cronenberg. L’actrice incarne la conceptrice d’un jeu vidéo qui se retrouve victime d’une tentative d’assassinat. Touchée à l’épaule, elle est recueillie par Ted Pikul (Jude Law) avec lequel elle se branche au jeu suite à l’implantation d’un biopod. Toute l’abstraction du film, constamment partagé entre le fantastique et la science-fiction, résonne à travers cette figure féminine, dévouée à la manipulation non seulement sexuelle (comme souvent avec Cronenberg), mais aussi du virtuel et de l’irréalité.
The Hateful Eight de Quentin Tarantino (2016)
Après eXistenZ, la carrière de l’actrice accuse sinon un ralentissement, en tout cas une baisse qualitative. Les rôles sont plus courts, les metteurs en scène moins prestigieux. Elle enchaîne malgré tout quelques collaborations intéressantes avec Sam Mendes (Les Sentiers de la perdition, 2002) ou Jane Campion (In the Cut, 2003) avec également un passage récurrent du côté de la série Weeds (saison 5 à 8), considérée comme l’un des show les plus visionnés sur la chaîne câblée Showtime.
Mais c’est avec Les Huit Salopards que sa carrière connaît un vrai rebond. Chez Tarantino, c’est une JJL ténébreuse que l’on retrouve, presque revancharde dans le rôle de Daisy Domergue. Tout au long du film, elle est menottée à John Ruth (Kurt Russell), un chasseur de prime vulgaire et paranoïaque. Au fur et à mesure que le huis clos tarantinesque avance, JJL s’impose de plus en plus : un chant d’oiseau guitare en main par-ci, un bras coupé par-là… Domergue incarne une forme de diable au féminin : on pense à ce sang qui lui éclabousse en plein visage et à ses insultes racistes et isolées dans le froid glacial qui entoure la taverne qui l’abrite. Une performance ravageuse qui lui aura valu un Golden Globes et un Oscar : un rebond soudain.
Twin Peaks – The Return de David Lynch et Mark Frost (2017)
Reparti sur des bases exceptionnelles dans sa carrière, l’actrice atterrit l’année suivante dans la mythologie Twin Peaks et sa saison 3 entièrement réalisée par Lynch. Son rôle est celui d’une chasseuse de prime quelque peu planante (et susceptible) au service du doppelgänger de Dale Cooper. Son personnage est une sorte de mix entre Tarantino et Lynch, et ça marche à merveille. A coups de répliques mordantes ornées d’un style dark tout en grignotant quelques paquets de biscuits apéro bon marché, elle est accompagnée d’un alter-ego masculin : Tim Roth, acteur phare de Tarantino. Malgré quelques minutes à l’écran, un style dément qui saute aux yeux.
Good Time des frères Safdie (2017)
Toujours un peu perchée, c’est ainsi que JJL traverse les âges du cinéma d’auteur américain. Nous la retrouvons ainsi chez les très hype frères Safdie aux côtés d’un Robert Pattinson au sommet dans Good Time. Jennifer Jason Leigh joue ici le rôle de la petite amie de Pattinson, lequel lui demande de payer la caution de son frère, en vain… Malgré une apparition d’à peu près un quart d’heure dans le film, une pression instantanée se construit autour de son personnage dont on peut également distinguer un look underground raccord avec l’atmosphère du film. Un rôle secondaire qui dit à la fois la générosité de l’actrice et son attrait pour le cinéma d’auteur le plus contemporain.
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