France, Etats-Unis, Italie, Afghanistan… Partout dans le monde, les lois et les pressions politiques entravent la liberté d’informer. Reporter et documentariste, Paul Moreira témoigne.
Ce qui se joue là ne concerne pas les privilèges d’une caste. Il en va de la liberté d’opinion du public, afin de ne pas remettre aveuglément notre destin entre les mains de ceux qui nous gouvernent. Les pressions s’accumulent, dans une indifférence dangereuse. Contre les journalistes et les citoyens lanceurs d’alerte… Un peu partout dans le monde dit libre, ceux qui ont décidé de parler, de révéler, sont attaqués avec une violence nouvelle.
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En France, les spin doctors de l’Elysée ont forgé des « éléments de langage » pour décrédibiliser les enquêteurs de Mediapart. Des attaques en rafales contre leurs opinions supposées. Trotskystes… Et personne pour rappeler l’article 19 de la Déclaration des droits de l’homme : « Le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions. » Surtout si elles sont de jeunesse et prescrites. Ou alors, il faudrait nommer un par un les anciens néofascistes qui peuplent le camp du gouvernement.
Aux Etats-Unis, l’armée vient d’enfermer Bradley E. Manning, un soldat suspecté d’avoir rendu publique une bande vidéo. Il risque soixante-douze années de prison. Que montraient les images ? Un crime de guerre à Bagdad. Un hélicoptère Apache qui abat des civils, des journalistes, des femmes, des enfants. Le film a été diffusé sur le site Wikileaks. Manning croupit maintenant dans une geôle au Koweït pour avoir peut-être révélé ce qui pourrait devenir le My Lay (ce village vietnamien où les civils furent massacrés par l’armée américaine) de la guerre en Irak.
Couvrir les conflits militaires de manière indépendante risque d’être de plus en plus dur. En France, encore, une loi votée en juillet menace ceux qui partent dans les zones dangereuses. Ils sont prévenus : s’ils viennent à être pris en otage, le gouvernement leur présentera la note pour leurs frais de libération. Le ministre des Affaires étrangères a rassuré : cette loi ne concerne ni les humanitaires ni les journalistes. Une belle déclaration. Orale. Mais lorsqu’un député socialiste, Hervé Féron, a demandé à spécifier l’exemption dans le texte, il s’est vu opposer un refus.
En mai dernier, je me suis rendu en Somalie. Une de ces fameuses zones dangereuses que nous sommes censés déserter par arrêté préfectoral… Un fonctionnaire européen zélé a eu vent de mon voyage et m’a dénoncé au ministère des Affaires étrangères. Le porteparole m’a envoyé une lettre à en-tête très officielle m’intimant de ne pas partir. Je suis parti. Ma besace pleine de stress. Entre les lignes, j’entendais déjà les admonestations publiques en cas de pépin : « Malgré nos avertissements explicites, il est tout de même parti… » La même ritournelle culpabilisatrice que l’on nous inflige à propos de nos confrères de France 3 coincés par les Talibans en Afghanistan. Au fait, pourquoi partonsnous dans ces trous noirs ? Pour un peu de gloriole com me le suggère avec mépris le discours officiel ? Le frisson du danger ? C’est à cela que l’on voudrait nous réduire.
Or, de Somalie, j’ai ramené des images sans fracas et sans héroïsme. Des images que je ne soupçonnais pas. Au milieu des blessés de guerre, j’ai découvert une épidémie invisible de gosses difformes. Le gouvernement somalien désigne les déchets toxiques déversés dans le pays par des Européens peu scrupuleux. Des Italiens, notamment. Il se trouve que des juges italiens ont justement mis sur écoute des réseaux de trafiquants de déchets toxiques. J’ai parlé à ces magistrats, j’ai tenté de récupérer les bandes audio. Mais voilà que dans le courant du mois de juin, c’est en Italie que la liberté d’informer connaissait un recul violent. Berlusconi a fait passer une loi contre la publication des écoutes judiciaires dans la presse. La peine sera sévère. Pour les juges qui les donnent comme pour les journalistes qui les publient. Deux mois de prison et près de 500 000 euros d’amende.
Que voulait dissimuler Berlusconi ? D’après des copains journalistes italiens, il est très ennuyé par une écoute qui circule dans les salles de rédactions. On l’y entend hurler sur le patron de la rédaction du TG1, le journal de 20 heures de la RAI, et exiger de lui qu’il n’évoque pas les ennuis judiciaires de son avocat. Et aussi qu’on ne parle pas au JT d’un repenti mafieux qui le met en cause. Et les journalistes italiens de s’exécuter. Car il faut le dire et le répéter : les pressions et les intimidations finissent par payer. Même si, au début, ça ne se voit pas trop.
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