Baskets aux pieds, l’insouciante vingtaine, glissant au détour d’une phrase du sacrosaint nom de la compositrice Clara Schumann à celui, plus tuto-beauté-lol, d’Enjoy Phoenix, Aliette de Laleu n’est pas vraiment conforme à l’image que l’on se fait d’une érudite de Beethoven. Et encore moins d’une journaliste de France Musique, que le taquin Guillaume Meurice n’hésite […]
« Pourquoi avoir des fesses quand on a des oreilles ? ». C’est pour ce genre de traits d’esprit mélodieux que l’on apprécie Aliette de Laleu. Sur France Musique, la mélomane décloisonne le monde patriarcal de la musique classique à grands coups de lucidité féministe. Portrait.
Baskets aux pieds, l’insouciante vingtaine, glissant au détour d’une phrase du sacrosaint nom de la compositrice Clara Schumann à celui, plus tuto-beauté-lol, d’Enjoy Phoenix, Aliette de Laleu n’est pas vraiment conforme à l’image que l’on se fait d’une érudite de Beethoven. Et encore moins d’une journaliste de France Musique, que le taquin Guillaume Meurice n’hésite jamais à dépeindre en station pour auditeurs grabataires. Trop cliché ? Tant mieux. C’est justement le boulot de la chroniqueuse de sauter à pieds joints sur les préjugés pour mieux les renverser.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Orgue et préjugés
Chaque lundi depuis septembre 2016, Aliette fait la chasse aux clichés. Via sa chronique hebdomadaire, elle passe aux crible les préjugés qui encombrent le monde des solistes, compositrices, chanteuses lyriques, percussionnistes et flûtistes. A l’adresse du monsieur tout le monde, la pédagogue déconstruit en deux-cent secondes montre en main les croyances populaires. Non, la musique classique ne rend pas plus intelligent et n’a rien d’un truc « d’experts« . Non, jouer de piano ne nécessite pas d’avoir de grandes mains. Non, l’orgue ne se limite pas à la musique religieuse, et oui, la musique contemporaine véhicule du sens.
Déjouer les idées reçues, pour Aliette, c’est, plus qu’un hobby, un violon d’Ingres. Passée par le Conservatoire, l’Institut Pratique du Journalisme et l’ENS avant d’intégrer la rédaction de France Musique, la jeune femme n’a pas tout appris à Radio France…mais chez Voici. C’est un stage dans l’open space du magazine people qui l »a initié « aux bases du journalisme et à l’importance du fact checking« . Passer de l’usine à scoops aux symphonies étendues de Malher a déjà tout du pied de nez. Depuis, la journaliste n’a cessé de déjouer les idées reçues. Quitte à poser les questions qui fâchent sur le site de France Musique : les instruments ont-ils un genre ? Les femmes sont-elles discriminées au conservatoire ? Pourquoi joue-t-on si peu d’oeuvres de compositrices ? Et depuis la rentrée 2017, le féminisme est devenu son leimotiv.
Sur France Musique, Aliette a carte blanche. Libre de rappeler que les premières divas étaient…des hommes (les castra), elle déplore l’état d’une société où le métier de chef d’orchestre est exclusivement masculin, où 28 % seulement des solistes en France sont des femmes, et où la majorité des conservatoires, orchestres et maisons d’opéras, sont dirigés par des hommes. Où la prodige du piano Yuja Wang ne peut pas faire un concert en mini-jupe un peu trop glamour sans qu’une pluie de remarques sexistes ne s’abatte sur sa tète. Ironique élégante, elle interroge les préceptes de l’Académie Française, pour qui féminiser le mot « chef » en « cheffe » relève d’une « aberration lexicale« . Allergique aux gougnafiers réacs – « fermez les yeux et écoutez votre cœur« , leur conseille-telle – elle s’attriste de voir les corps des compositrices utilisés comme de purs arguments commerciaux. Réfractaire à cette érotisation subie, elle aime à dire que « filmer les fesses des femmes ne « décoince » pas la cause de la musique classique« . Non sans quitter son ton solennel, à la lisière du zen.
« Jouer du piano comme un homme, c’est absurde »
Voix guillerette et complice de la matinale depuis la rentrée passée, la jeune Saskia De Ville (33 ans) la soutient dans sa lutte contre les clivages. Chez France Musique, l’heure est donc à la féminisation et à la modernité. Parler de misogynie ordinaire et d’écriture inclusive tout en écoutant la Passion selon saint Matthieu de Bach apparaît presque comme une évidence. « La volonté éditoriale de la station aujourd’hui est de crever la bulle, de sensibiliser les néophytes, de désacraliser notre rapport à la musique classique et à son monde » nous assure celle qui, toute petite déjà, s’esquintait les esgourdes sur les Quatre Saisons de Vivaldi. De la vulgarisation chic, donc, mais qui ne sombre pas dans la vacuité de l’accroche pop.
« Il y a des formules qui m’exaspèrent. J‘ai encore en travers de la gorge ce mot de Léa Salamé à propos de Khatia Buniatishvili [surnommée » la Beyoncé du piano »] dans l’émission Stupéfiant : « elle joue comme un homme ». C’est typiquement le genre de phrases que je déteste, ça ne ne veut rien dire de jouer du piano comme un homme ! » nous cingle-t-elle entre deux gorgées de vin rouge.
Pour Aliette, le féminisme se compose par petites notes. A travers les prestations de Claire Gibault par exemple, première femme en tête de l’Orchestre de la Scala. Ou dans « cette vidéo de trente six minutes où la YouTubeuse Enjoy Phoenix évoque sa boulimie, car c’est un témoignage très courageux« . Chaque semaine, la jeune journaliste compte désormais nous délecter de son engagement intime, c’est à dire « pousser des coups de gueule tous les lundis« , entre deux vagues de concertos pour clarinettes. N’en déplaisent aux vieux bougons ronchons, pour qui « sexualisation du corps » et « France Musique » n’ont rien à faire ensemble. A ceux-là, Aliette pourrait tout aussi bien leur décocher ce bon mot de la diva Maria Callas : « tout ce que je peux dire, c’est que ceux qui n’aiment pas ma voix n’ont qu’à ne pas m’écouter…« .
{"type":"Banniere-Basse"}