Alors que des groupes terroristes embrasent l’Afrique et que sort le film choc de Bigelow sur la traque de Ben Laden, un livre tombe à pic pour expliquer la stratégie de propagande par l’image d’Al-Qaeda.
Comment et pourquoi Al-Qaeda s’est magistralement approprié les moyens audiovisuels modernes pour répandre la terreur et faire du prosélytisme. En parallèle de cette analyse assez précise et documentée d’Abdelasiem El Difraoui, professeur à l’Institut de recherches sur la politique des médias et de la communication de Berlin, on suit le parcours d’Oussama Ben Laden, leader charismatique d’Al-Qaeda, et l’histoire de ce mouvement, initié en Afghanistan dans les années 80 pour mener le djihad, guerre sainte des extrémistes de l’islam contre « les croisés et les sionistes ».
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Lors de l’invasion de l’Afghanistan par l’Union soviétique, les moudjahidine (combattants musulmans) bénéficièrent même de la bénédiction de l’Occident (Américains, Européens). Se présentant implicitement comme un nouveau prophète bien que dénué de titre religieux, Ben Laden s’est graduellement affirmé comme la figure de proue du terrorisme islamiste. Avide de médiatisation, il a utilisé certains moyens forgés par la propagande d’Al-Qaeda, qui avait même son propre département de production audiovisuelle, Al-Sahab.
Al-Qaeda est une organisation opportuniste, qui utilise tout ce qui passe à sa portée pour alimenter son combat, quitte à dévoyer certains préceptes fondamentaux de l’islam.
« Ben Laden et ses alliés, écrit El Difraoui, sont parvenus à justifier leur emploi de la vidéo comme principal moyen de leur propagande, alors même que l’islam est une religion aniconique dans laquelle l’utilisation de l’image est, théoriquement, sévèrement restreinte. »
Explication d’Al-Qaeda : « Tout est permis pour promouvoir le djihad. » Autre élément qu’Al-Qaeda a exploité jusqu’à plus soif : les images spectaculaires, filmées par les télés occidentales, de la destruction du World Trade Center.
De plus, l’organisation islamique a bénéficié d’un allié objectif pour la diffusion de son credo guerrier : le CNN arabe, Al-Jazeera. « Ce sont les attentats du 11 Septembre, conjugués au rôle joué par Al-Jazeera, qui ont fait de Ben Laden une icône médiatique », explique El Difraoui. On pourrait énumérer les nombreux emprunts opportunistes d’Al-Qaeda. Y compris à ses ennemis. Notamment aux chiites, branche iranienne de l’islam qui aurait imaginé, lors de la guerre Iran-Irak, transformer les auteurs d’attentats-suicides en martyrs pour pouvoir envoyer des enfants-soldats au casse-pipe. Selon l’auteur, la notion de martyre serait quasiment absente du Coran, où le suicide est réprouvé. C’est pourtant devenu le principal modus operandi d’Al-Qaeda.
L’univers audiovisuel d’Al-Qaeda est varié. Il va des vidéos kitsch et morbides de martyrs aux images d’exécution d’otages occidentaux (spécialité contreproductive de la branche irakienne d’Al-Qaeda), en passant par les clips de rap-djihad, les films d’entraînement, d’actions guerrières, de fabrication de bombes, etc. Mais on constate que, si elle a créé une forte image de marque, avec un logo (kalashnikov, étendard noir et globe terrestre) et une icône (Ben Laden) universellement connus, « la propagande d’Al-Qaeda reste, globalement, un échec », dit El Difraoui.
Le mouvement n’a pas fait tache d’huile et inspire surtout des initiatives isolées auxquelles l’ensemble du monde musulman n’adhère pas. Le comble étant la campagne de terreur d’Al-Qaeda en Arabie Saoudite, pays islamique rigoriste, qui revenait à marquer des buts contre son camp. Cependant, pour El Difraoui, rien n’est réglé, car Al-Qaeda a réussi « à se doter du pouvoir ‘d’infecter’ les générations futures avec son Grand Récit du djihad et du martyre ».
Vincent Ostria
Al-Qaida par l’image – La prophétie du martyre d’Abdelasiem El Difraoui (PUF), 420 p., 32 € N.-B. Plusieurs graphies sont possibles concernant la traduction du nom du mouvement terroriste. Les Inrocks ont choisi de l’orthographier « Al-Qaeda »
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