Depuis cinq ans, des jumeaux madrilènes occupent le même bout de bitume pour protester contre la disparition de leur disquaire fétiche. Ce combat a fait d’eux des icônes.
Une petite troupe d’ados américains en tongs s’arrête sur le trottoir de la Gran Vía, l’avenue commerciale la plus passante de Madrid. Ils rigolent un peu, puis l’un d’eux ose s’approcher.
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“On peut prendre une photo ? Vous êtes des stars internationales, aujourd’hui.”
En face de lui, Emilio et José, cheveux longs, et pantalons élastiques, se mettent en place puis prennent la pose comme des pros. Depuis cinq ans, ils passent tous leurs aprèsmidi ici, sur six mètres carrés de bitume. Une régularité qui a fait de ces jumeaux de 44 ans, surnommés “los heavies de la Gran Vía”, des monuments madrilènes. Alors que la capitale espagnole fête cette année les 100 ans de l’avenue, pas un reportage sur ses immeubles art déco et ses anciens cinémas n’omet de mentionner les deux frangins.
Pendant vingt-cinq ans, Madrid Rock, un magasin de disques, se tenait devant leur point de ralliement.
“Il y avait trois étages, explique Emilio, c’était l’un des plus grands de la ville. On y passait nos journées et on est devenus potes avec les employés.”
Mais en 2005, Bershka, une boutique de fringues de l’empire Inditex, convoite le disquaire. Des dizaines de clients décident alors de s’engager pour sauver leur endroit. Pancartes, sifflets, manifestations… Les actions se multiplient. En vain.
“On a vendu la culture contre de la mode pas chère”
, regrette Emilio.
Contrairement aux autres manifestants, Emilio et José décideront donc de rester. Ils ont bien compris que le magasin ne rouvrirait pas, mais ils luttent pour autre chose.
“Silencieusement, par notre présence, on se bat pour le rock, l’esprit libre”
, explique José. Et d’ajouter
“A nous tous, nous devons créer un monde pacifique.”
C’est leur côté babos. Depuis la mort de leur petit frère, emporté d’une overdose au début des années 90, Emilio et José sont végétariens et totalement sobres.
Comment vivent-ils sans travailler ? Les frères évoquent sans s’attarder le petit héritage laissé par leur père, un appart de banlieue où ils vivent ensemble. Les restes abondants jetés par les supermarchés remplissent leur frigo et ils récupèrent leurs vêtements dans la rue. Ils n’ont ni portable, ni ordinateur. Au cou de José pend simplement un iPod offert par un ami. Dedans ? Lynyrd Skynyrd, Judas Priest, Manowar, Bruce Dickinson, Hellicks, Kiss… Ceux dont ils achetaient les disques chez Madrid Rock.
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