Dans une comédie cinéphile, Yannick Haenel réunit Herman Melville, Cimino et Huppert pour interroger le mystère de la création. Ensorcelant.
Yannick Haenel n’écrit jamais seul. Pour ce quinqua à la dégaine de khâgneux arsouillé, chaque livre est l’occasion d’une aventure en illustre compagnie : Artaud, Dante et Joyce ouvraient la voie de Cercle (2007), Beckett guidait Les Renards pâles (2013) et Pascal inspirait Evoluer parmi les avalanches (2003).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
La littérature, chez Haenel, est le lieu des rencontres improbables, l’espace des émerveillements toujours retrouvés. Ici, c’est Proust qui souffle son titre au roman – Tiens ferme ta couronne –, Herman Melville qui nous y fait pénétrer et Michael Cimino qui montre le cap.
Un scénario aberrant sur l’auteur de Moby Dick
En pleine tempête intime, Jean Deichel, double romanesque de l’auteur depuis toujours, est en voie de clochardisation. A l’aube de la cinquantaine, il squatte un T1 parisien dont il va se faire virer. Sans revenu, il enchaîne les nuits blanches alcoolisées et les journées grises devant Apocalypse Now. Ecrivain qui n’écrit plus mais rêve de septième art, il a mis un point final à The Great Melville, un scénario aberrant sur l’auteur de Moby Dick que personne ne veut produire.
Sauf peut-être Cimino, le réalisateur de Voyage au bout de l’enfer devenu le paria d’Hollywood après le fiasco de La Porte du paradis, croisé en début de roman et qui va hanter cette épopée abracadabrante où vont se télescoper Isabelle Huppert et Sabbat le Dalmatien, la déesse Diane et deux moustachus inquiétants, un voisin violent et un mauvais sosie d’Emmanuel Macron.
On retrouve ici, comme dans ses premiers textes, les errances urbaines du narrateur, ses péripéties tragicomiques et ses épiphanies artistiques. Mais on devine aussi, grâce à un jeu de miroirs narratifs malicieux, la solitude et les doutes de l’écrivain, l’angoissante condition de l’artiste face à la création.
Car si ce virtuose Tiens ferme ta couronne peut se lire comme une comédie jouissive, il est aussi – et peut-être surtout – le nouveau chapitre de la chronique d’une passion pleine de fureur, d’effroi et de triomphes que Haenel romance depuis plus de vingt ans : celle qui lie l’écrivain à l’écriture. Léonard Billot
Tiens ferme ta couronne (Gallimard), 352 pages, 20 €
{"type":"Banniere-Basse"}