Considéré comme le laboratoire politique de Martine Aubry, la capitale des Flandres a connu de nombreux changements physiques au cours du dernier mandat de l’ex-secrétaire du PS. Radiographie du quartier Euralille, où “l’art de ville” d’Aubry est entré en action mais n’a pas encore abouti.
Avant, il n’y avait rien. Un no man’s land jonché de détritus qui faisait office de zone tampon entre le périphérique Est et les grands boulevards qui délimitent le centre-ville. Et puis en 2006, le siège de la région est sorti de terre, et avec lui, un éco-quartier destiné aux familles lilloises, le Bois habité. Au total vingt-deux hectares réaménagés, 600 logements, le tout derrière le centre d’affaires Euralille où se situent les deux gares, des bureaux, un grand centre commercial, le Zénith et la salle d’expo Tri Postal. Une extension de l’hypercentre en quelque sorte.
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Nicolas s’est installé au Bois habité il y a deux ans. Un appartement moderne de 90 mètres carrés en location, avec terrasse et tout proche du centre. À 43 ans, il est arrivé là avec ses trois enfants un peu par hasard, attiré par les loyers modérés de ce nouveau quartier coloré. “Le Bois habité a été très bien pensé, relève ce metteur en scène. Même si on est juste derrière la gare de Fives et le périphérique, il n’y a aucune gêne sonore ni même de vis-à-vis”.
“Quartier champignon un peu high-tech”
C’est l’architecture asymétrique du quartier qui combine immeubles de différentes hauteurs qui permet cette tranquillité. Autre bienfaits, la verdure de l’endroit fourni en terrasses et jardins, les façades en bois et même des décors fleuris sur les grandes tours donnent au Bois habité son côté moderne, à la manière des éco-quartiers allemands.
Un “quartier champignon un peu high-tech”, qui ne finit pas de s’étirer ralliant bientôt Euralille à la Porte de Valenciennes au sud de Lille. “Il n’y avait même pas 50% de construit quand je suis arrivé”, s’amuse encore Nicolas. Désormais, il peut compter sur des bureaux, une crèche, un supermarché, et même le siège de France Bleu Nord. Sans compter le prochain chantier Saint-Sauveur, une friche abandonnée de 23 hectares dont une partie a déjà été convertie en lieu culturel avec concerts et expos, le tout pile de l’autre côté du boulevard Hoover.
La “marque Aubry”
Contrairement à Lille-Sud où il a fallu raser et réhabiliter, à Euralille, il a fallu tout construire. Un canevas neuf sur lequel broder le “nouvel art de ville” que Martine Aubry défend depuis 2001, sur la base des premiers chantiers impulsés par Pierre Mauroy. Mais là où Mauroy voulait simplement créer un centre d’affaires – une “turbine tertiaire” – pour redynamiser une ville minée par la crise industrielle, Aubry va plus loin. Le topo de son “nouvel art de ville”? En finir avec les quartiers mono-fonction et injecter du logement, des bureaux, des commerces et des équipements culturels et sportifs dans chaque district. Le tout en combinant logement social et privé pour casser la segmentation sociale. “C’est en changeant la ville que l’on attire les entreprises privées”, résume Martine Aubry.
Un défi quand on sait que 7 des 10 quartiers de la ville font l’objet d’une politique prioritaire. “Je me suis inspirée de ce que j’ai fait à Lille pour le programme d’urbanisme du PS, s’enorgueillit la maire. Le nouvel art de ville est déjà daté, aujourd’hui on est dans le bilan”. Et il est plutôt positif à en croire Philippe Menerault, professeur en aménagement à l’université Lille-1:
“Euralille est située dans un territoire coupé à la fois par les infrastructures de transport et la ligne des anciennes fortifications de la ville. Les projets d’urbanisme impulsés sous Aubry redessinent une ville moins fragmentée en ouvrant des espaces publics et de rencontres”.
Enthousiaste, Menerault va plus loin : “Lille porte la marque Martine Aubry. Elle a réussi à réaliser son projet, que d’autres villes imitent désormais (EuroRennes, Bordeaux Euratlantique, Euromediterrannée à Marseille…)”. Mais “la marque Aubry” n’est pas si facile à appliquer. “Comme tout doit être conforme à sa vision, ça prend parfois du temps pour valider des projets”, soupire son entourage.
Mixité sociale versus coexistence pacifique
“Martine Aubry a une vision idéaliste de la ville qui rentre en conflit avec la réalité, note un observateur proche de la maire. La ville est attractive (plus de 11 000 habitants entre 2008 et 2010), elle a changé physiquement, mais on n’est pas encore dans la mixité sociale. Les populations extrêmement diverses de Lille, entre grande aisance et grande pauvreté, sont dans une coexistence pacifique, les uns à côté des autres et non pas ensemble”.
Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. La mairie a relocalisé l’évènement Lille Neige (patinoires, luges, et autres activités familiales) dans la partie réhabilitée de la Gare Saint-Sauveur. Auparavant, l’évènement se déroulait dans le quartier populaire de Moulins. “Pas sûr que le public modeste se rende dans ce temple bobo très fréquenté par les étudiants et les classes moyennes supérieures”, remarque encore cet observateur.
Jonathan, un des premiers locataires au Bois habité, moque aussi cette volonté affichée de mixité sociale. “Au début, il y avait pas mal de colocations étudiantes. Ça a rapidement changé car il est devenu clair que c’était un quartier destiné aux familles. Il y a rapidement eu une phase de boboïsation du quartier – enfin de gentrification – avec des jeunes familles et des cadres dynamiques adeptes du “green””. Exit les populations jeunes. “La vérité, c’est que si on avait voulu mettre en place une politique d’intégration on l’aurait fait”, lâche un adjoint proche de la maire, qui n’hésite pas à critiquer ce qu’il a lui-même mis en place. Après les transformations physiques de la ville, l’installation d’entreprises privées au sein de pôles d’excellence, et la multiplication des espaces culturels à destination de tous les Lillois, la mixité sociale est peut-être le dernier défi à relever pour un futur mandat de Martine Aubry.
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