Peut-on encore prendre à revers une communication politique verrouillée ? Des journalistes racontent comment il faut désormais se glisser dans les interstices pour trouver l’information.
C’est un micro qui traîne, une réponse qui n’en ’est pas vraiment une, une phrase attrapée à la volée ou un geste filmé sans le savoir. Au final, c’est une information qui peut mettre un homme politique en difficulté, ou même carrément lui coûter son poste. On l’a vu avec Brice Hortefeux ou Eric Besson dans leurs récentes performances.
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Pourquoi ces vidéos relayées sur le net – mais au départ, rappelons-le, filmées par des journalistes disposant d’une carte de presse – ont-elles autant d’impact ? Parce que dans le nouveau carcan installé par la communication politique, ces petits riens, ces pastilles se révèlent extrêmement révélateurs. Depuis une quinzaine d’années, le rapport entre les politiques et les journalistes a changé. Entre eux se sont incrustés des conseillers en communication qui ouvrent et ferment les portes, qui préparent les discours, valident les questions ou les réponses. Les deux professions en sont bouleversées, et celle de la presse plus encore que celle de ses nouveaux vis-à-vis.
“L’ère de la communication a véritablement commencé avec l’arrivée en 1995 de Claude Chirac à l’Elysée, qui s’occupait directement de son père. Désormais, la politique s’inspirait directement de la pub et du marketing. L’accès aux hommes politiques est devenu beaucoup plus dur. Ils maîtrisent bien davantage leurs propos. Il a fallu trouver de nouvelles techniques, demander aux équipes de passer plus de temps en compagnie des hommes politiques, leur apprendre à laisser traîner les caméras, les perches”, explique Jean-Marie Michel, rédacteur en chef du Vrai Journal, qui débuta en 1996 au moment même où se resserrait le filtre de la communication. Nous avons demandé ainsi à neuf journalistes de raconter leurs moments volés, auprès de Sarkozy, Jospin, Bayrou, Strauss- Kahn, Hortefeux, Besson ou Dati. Ces témoignages racontent le journalisme politique d’aujourd’hui, dans les interstices et après la communication.
JOSPIN SÛR D’ÊTRE AU SECOND TOUR EN 2002
Par John Paul Lepers, LaTélélibre.fr
“C’est une interview de Lionel Jospin, qui a lieu le mercredi avant le 21 avril 2002, donc avant l’arrivée de Le Pen au second tour de la présidentielle. Dernier meeting à Rennes, à 72 heures du premier tour : Jospin est en forme, il est jovial, il serre des mains, au milieu des militants. Je lui pose une question dans une interview tout ce qu’il y a de plus classique : “Monsieur Jospin, franchement, si vous n’êtes pas au second tour, vous votez pour qui ?” Là, il éclate de rire et dit : “J’ai de l’imagination, mais elle a des limites, question suivante.” L’image ne vaut pas grand-chose sur le moment ; mais après le 21 avril, elle est terrible. On perçoit dans son regard, dans son attitude, qu’il n’a pas pensé une seconde à se faire éliminer au soir du premier tour, pas une seule seconde.”
SARKOZY INSULTE UN HOMME AU SALON DE L’AGRICULTURE
Par Stéphane Puccini (et François-Luc Doyez) Youpress.fr
“Cela se passe en février 2008 au Salon de l’agriculture, le premier jour. Avec le collectif Youpress, on fait des reportages pour la presse régionale ; je m’occupe de la vidéo. Nicolas Sarkozy doit marquer le coup : c’est son premier Salon. Je décide de le suivre pendant tout son parcours. La masse des journalistes est si dense que, en ayant marre de me faire marcher sur les pieds, je sors du groupe et je prends un peu d’avance. Quand Sarkozy arrive à ma hauteur pour serrer la main du type, il n’est pas, dans sa tête, “entouré de journalistes”, voilà qui est important. Il est avec son service de sécurité. Au moment où je le filme, j’entends crier autour de moi et je le vois qui s’adresse à un homme ; l’échange est assez virulent. J’entends vaguement : “Casse-toi.”Après son départ, je réécoute la bande avec François-Luc Doyez (un collègue de Youpress), et on se rend compte qu’il dit “Cass’ toi pauv’ con” au type. On s’est longtemps demandé ce qu’on allait en faire, on trouvait ça drôle et révélateur à la fois. Finalement, on a rencontré des gens du Parisien.fr qui nous ont convaincus de le diffuser : de là le buzz que l’on sait.”
DATI ET PANAFIEU HABILLENT BORLOO POUR L’HIVER
Par Vanessa Schneider, Canal+, “Le Paris en or de Bertrand Delano
“Nous sommes avec Rachida Dati, tête de liste dans le 7e arrondissement, qui est au QG de Françoise de Panafieu. Elles reviennent toutes les deux d’un voyage en Chine avec Nicolas Sarkozy. Rachida Dati dit à Françoise de Panafieu : “Je n’ai pas dormi de la nuit, j’étais avec Borloo.” Panafieu enchaîne : “Ah oui, il est pas sexy cet homme-là”, et Dati précise en gros qu’elle trouve qu’il pue des pieds et que ça lui a donné le “gerbillon”. Je découvre la scène au dérushage. Dati chuchote quand elle dit ça à Panafieu, mais comme je suivais Panafieu pour un documentaire, je lui avais posé un micro-cravate : même quand on lui parle tout bas ça s’entend. Ça n’a pas une super portée politique, mais on entend rarement les hommes politiques parler aussi crûment les uns des autres. On a mis cette scène dans le documentaire. Je sais que Borloo a appelé Dati, qui s’est confondue en excuses. Mais bon, elle l’avait dit.
SARKOZY S’EMPORTE CONTRE UN JOURNALISTE DONT IL N’AIME PAS LA QUESTION
Par Anthony Orliange,“Dimanche+”, Canal+
“Nicolas Sarkozy arrive à la soirée du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) en 2007. La meute de journalistes lui demande ce qu’il est venu faire ici. Il répond qu’il vient voir ses amis comme tous les ans. Je décide de casser l’ambiance en lui demandant s’il “court après le vote juif”. Il me lance un regard de tueur et répond : “Il n’y pas de vote juif, monsieur.” Ensuite, il me saisit le poignet pour baisser le micro et me dit que ma question est raciste, que ce que je viens de dire est une honte et que des gens comme moi ne méritent pas qu’on leur réponde. Plus tard, je croise à nouveau Sarkozy et lui fait remarquer que sa réplique m’a vexé. Il me passe la main sur l’épaule : “Si vous voulez, on la refait et je vous réponds gentiment cette fois.” La caméra était juste derrière, on la refait et il me répond qu’il ne croit pas au vote juif, que les Juifs votent autant à gauche qu’à droite et qu’il n’est donc pas venu avec un message électoral ce soir-là. Puis il me serre la main et me lance un clin d’oeil.”
HOLLANDE ET HUCHON S’ALLIENT CONTRE SÉGOLÈNE ROYAL
Par Thomas Bauder, journaliste
“Je suis à un match du Variétés Club de France en juin 2008, avec Drucker, Bruel et compagnie, qui jouent contre l’équipe de l’Assemblée nationale au stade Charléty. L’opérateur filme Jean-Paul Huchon et François Hollande pour des plans de coupe, sous la perche de l’ingénieur du son. Il entend Hollande, alors premier secrétaire du PS, qui dit : “Si on continue à lui taper dessus, elle va se barrer et être candidate contre nous. Il faut qu’on calme le jeu.” Huchon lui dit qu’il a raison, qu’il faut arrêter de la harceler comme ça. Quand Hollande et Huchon sont sur le terrain, on réécoute et on se rend compte qu’ils parlent de Ségolène Royal. Quand ils reviennent sur le banc de touche, je vais les voir, les informe que je les ai entendus et leur demande ce qu’ils comptent faire avec Ségolène Royal : comptent-ils la ménager pour qu’elle ne quitte pas le parti ? Tous deux esquivent et me servent les poncifs habituels. Je diffuse la séquence qu’on a eu en allant à la pêche : voilà au moins une vraie info sur le changement de stratégie de Hollande au sein du PS.”
BAYROU DESCEND CHIRAC ET LA “CONNERIE” DE LA DISSOLUTION
Par Allan Rothschild, producteur
“François Bayrou et d’autres personnalités de droite se réunissent dans une salle de l’Assemblée nationale, à la veille des législatives de 1997, juste après que Chirac a décidé de dissoudre l’Assemblée. Je suis là-bas pour Canal+, il y a beaucoup de monde. C’est à cette époque que les micros HF font leur apparition sur les tournages. Ça veut dire que le preneur de son est indépendant du caméraman, qui est lui-même indépendant du journaliste ; et les hommes politiques ont tendance à se focaliser sur le journaliste. Notre preneur de son, placé à côté de Bayrou, entend celui-ci déclarer que la dissolution décidée par Chirac est la plus “grosse connerie politique” de l’histoire et qu’il est évident que tout cela va se finir par une défaite colossale. Bayrou dit ça juste avant le vote, et il est tout de même le ministre de l’Education nationale du gouvernement Juppé. C’est une parole de poids, alors bien évidemment on la diffuse.”
JUPPÉ FLIPPÉ AU TRIBUNAL
Par Michaël Darmon, France 2
“Nous sommes en 2004, à la veille de l’appel de la cour de Versailles pour le procès d’Alain Juppé sur les emplois fictifs de la mairie de Paris. Je couvre un meeting UMP à Besançon où les militants sont là pour donner le change et soutenir Juppé. Devant tout le monde, Juppé dit qu’il est très serein, qu’il n’est pas inquiet, il fait des sourires, il serre des mains. On le filme au moment où il n’est plus en représentation mais nos micros micros sont toujours branchés. Il parle du jugement avec des gens de l’UMP. Et on l’entend dire : “Officiellement, je dis que tout va bien, mais en réalité vous savez, j’ai la boule au ventre, j’ai très peur, vraiment.”
En réécoutant, on se rend compte que l’on peut le diffuser avec un léger sous-titre. Nous le passons à l’antenne avec une vraie info. Loin du discours positif, Juppé est mort de trouille. Il sera condamné à quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité.”
ERIC BESSON FAIT UN DOIGT D’HONNEUR SOUS LATABLEPar Benoît Chaumont,“Dimanche+”, Canal+
“On est à Seignosse, au campus des jeunes de l’UMP, début septembre. Eric Besson et des jeunes du parti discutent de la question des tests ADN. Ils ont des doutes ; ils s’interrogent pour savoir si c’est une bonne idée. Je demande au ministre si on peut en parler. Il me dit : “Non, c’est du “off” là, vous ne filmez pas.” Je lui réponds que si je filme, il va me sortir un vieux discours langue de bois, et il me répond que oui, c’est ce qu’il va faire. C’est de la provocation, ouvertement. Donc, pour avoir plus d’informations, je suis obligé de tourner en longueur. A un moment, je filme des jeunes qui me ressortent les mêmes clichés que leur chef. Besson est ravi de me voir faire la gueule : il sait que ça tourne, il se baisse et, sous la table, me fait ce doigt d’honneur qu’au début je ne vois pas à la caméra. Mais au montage, le geste obscène me saute aux yeux : nous avions filmé au grand angle. Bénédiction : mon sujet en est relevé d’autant.”
HORTEFEUX ET LES ARABES TROPNOMBREUX
Par Hélène Risser, Public Sénat
“Avec une équipe de Public Sénat, nous sommes à Seignosse au campus des jeunes de l’UMP. A l’heure de l’apéritif, quelques jeunes militants entourent quelques ministres, dont Brice Hortefeux en compagnie de Jean-François Copé. On s’approche d’eux pour les filmer, avec un micro visible marqué Public Sénat et une caméra de télévision.
On commence à tourner des images d’illustration en attendant de pouvoir poser des questions à Brice Hortefeux. C’est comme cela que nous captons la célèbre séquence où le ministre de l’Intérieur déclare : “Quand il y en a un, ça va. C’est quand il y en a beaucoup qu’il y a des problèmes” (à propos des Maghrébins – ndlr). La caméra est visible. Je ne sais pas s’il l’a intégrée, mais elle est visible. On se rend aussitôt compte que nous tenons un propos intéressant et incontestable, prononcé devant des journalistes accrédités. Là, il ne s’agit ni d’images volées, ni d’images fabriquées pour le net, mais tournées par des journalistes en pleine réunion publique avec des militants.”
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