Icône de la Nouvelle Vague morte de chagrin à l’âge de 40 ans, Jean Seberg reste une actrice à part dans l’histoire du cinéma. Anne Andreu recueille ses éclats brisés dans un documentaire sensible et précis.
« Devenir immortel, et puis mourir » : Jean Seberg aurait pu faire sienne cette réponse de Jean-Pierre Melville à la question sur l’ambition qu’elle lui posait dans une scène célèbre du film de Jean-Luc Godard, A bout de souffle. Révélée en 1960 au grand public par ce manifeste de la Nouvelle Vague, après avoir joué dans deux films d’Otto Preminger, Sainte Jeanne et Bonjour tristesse, la jeune actrice américaine est restée à travers les années une icône émouvante. La documentariste Anne Andreu explore ses traces visibles et interroge à la fois son mystère indicible.
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Grâce à A bout de souffle et son personnage fait de « grâce garçonne et de douceur angélique », elle est réellement devenue immortelle, avant d’enchaîner d’autres rôles, plus ou moins marquants (Lilith de Robert Rossen, Les Hautes Solitudes de Philippe Garrel…), pour mourir trop tôt, à l’âge de 40 ans : un suicide dû à un épuisement nerveux après plusieurs échecs sentimentaux, des addictions à l’alcool, la perte d’un enfant, de fausses rumeurs lancées sur son compte par le FBI qui l’avait pris en grippe à cause de ses activités militantes auprès des Black Panthers…
Interrogeant certains de ses proches (son fils Diego Gary, son dernier mari Dennis Berry, sa sœur Mary Ann, le cinéaste Clint Eastwood avec lequel elle eut une courte liaison…), exhumant de magnifiques images d’archives et certaines interviews de l’actrice, toujours précise, argumentée et sensible dans ses réponses, Anne Andreu rassemble les preuves d’une « vie poétique brisée », pleine d’éclats, d’ébats et d’abattements. Rien, dans sa vie, n’a suffi à lui éviter de « perdre le contrôle de sa propre destinée », pas même sa grande histoire d’amour avec l’écrivain Romain Gary, qui évoqua ses relations conjugales dans son roman Chien blanc ; pas même le « dévorant besoin d’amour » qui brûlait en elle, décrit par Carlos Fuentes dans son roman Diane ou la Chasseresse solitaire ; pas même ses engagements politiques fervents pour l’égalité des races et les droits civiques aux Etats-Unis dont elle détestait le puritanisme et le conservatisme…
Comme son personnage préféré – la jeune schizophrène Lilith dans le film de Rossen -, Jean Seberg succomba à une longue dérive, proche de la folie : une haute solitude, dont le visionnaire Philippe Garrel avait su filmer l’intensité tragique. « Actrice géniale » selon lui, femme perdue, combattante perdue dans le combat, elle acheva sa vie comme elle l’avait commencée : à bout de souffle. Le fantôme de Jean flotte encore dans le cinéma actuel, comme le suggérait Leos Carax dans une scène évocatrice d’Holy Motors avec Kylie Minogue chantant sur le toit de la Samaritaine. De sa voix clamant « New York Herald Tribune » ou susurrant « c’est quoi dégueulasse », comme de sa beauté androgyne, rien de Jean Seberg n’a été effacé, sinon le secret de ses blessures à vif. Sans être résolu, il brûle dans ce portrait élégiaque et élégant.
Jean-Marie Durand
Eternelle Jean Seberg documentaire d’Anne Andreu. Mercredi 15, 22 h 20, Arte
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