Une sale histoire de Jean Eustache en son milieu se troue. Passé les vingt-huit premières minutes, qui voient Michael Lonsdale évoquer l’aventure voyeuriste qui constitua l’expérience majeure de quelques mois de sa vie, un carton noir éteint le film, qui se rallume pour vingt-six nouvelles minutes, où un ami d’Eustache, Jean-Noël Picq, refait le même récit, presque au mot près. Un film troué donc, entre une supposée reconstitution fictionnalisante (acteur, 35 mm, découpage) et une supposée captation documentaire (non-comédien, 16 mm, caméra portée). Mais surtout un film sur un trou, celui creusé dans la porte des WC pour femmes d’un bar. Un trou qui ouvre sur des trous, les sexes dont le personnage devient l’observateur compulsif.
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Mais c’est surtout un autre trou qui polarise Laurent de Sutter, auteur de Théorie du trou, essai philosophique entièrement dédié au film d’Eustache. Ce trou, c’est celui qu’il appelle le « désêtre », ce sentiment qui emplit le cinéaste après le coup de maître du chef-d’oeuvre La Maman et la Putain puis l’échec public de Mes petites amoureuses. Ce trou, on pourrait plus banalement l’appeler malheur, découragement, épuisement ou dépression, et Eustache finit par s’y jeter en se défenestrant en 1981. Pour Laurent de Sutter, Une sale histoire consiste à précéder la chute d’être. « Arracher une victoire à l’épuisement consiste à descendre plus bas qu’elle – à rater avec plus d’intensité encore que ce qu’espérait le monde. » L’objet du film serait de détruire cela et l’instrument de cette destruction serait l’humiliation.
En lisant cette Théorie du trou, on voudrait revoir Une sale histoire. Mais à moins d’en posséder une copie pirate, c’est impossible : pour des problèmes d’ayants droit, le film ne connaît aucune édition DVD. C’est le film lui-même qui est devenu un trou monstrueux dans le paysage visible du cinéma français.
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