Vingt-cinq ans que le monde de l’habillement de luxe n’avait pas entendu ce nom : Dapper Dan. Un quart de siècle après son âge d’or new-yorkais, la mode redécouvre le travail du tailleur de Harlem qu’elle avait elle-même enterré à coup de procès pour contrefaçon. S’il est peu connu du grand public, Dapper Dan, de […]
L’hommage controversé de Gucci à Dapper Dan lors de sa collection croisière de mai dernier a fait resurgir cette figure de la culture hip-hop des années 80. Vingt-cinq ans après lui avoir fait fermer boutique, la marque réhabilite ce tailleur copycat mythique de Harlem, chantre de la logomania et précurseur du mélange entre streetwear et luxe.
Vingt-cinq ans que le monde de l’habillement de luxe n’avait pas entendu ce nom : Dapper Dan. Un quart de siècle après son âge d’or new-yorkais, la mode redécouvre le travail du tailleur de Harlem qu’elle avait elle-même enterré à coup de procès pour contrefaçon. S’il est peu connu du grand public, Dapper Dan, de son vrai nom Daniel Day, 72 ans, est une figure mythique du milieu hip-hop des années 80.
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A l’époque, ce hors-la-loi de la mode habille les grandes stars du rap : Eric B. & Rakim, KRS-One, LL Cool J, les membres des Run DMC, Fat Joe, Salt-N-Pepa, Public Enemy etc. Même le boxeur Mike Tyson, le basketteur Walter Berry ou le trafiquant de drogue Alberto “Alpo” Martinez comptent parmi ses clients les plus fidèles. Ses vêtements sportswear recouverts des monogrammes Gucci, Louis Vuitton ou Fendi à bas prix font fureur dans la contre-culture noire américaine où il faut porter sur soi le signe de sa réussite.
Ce milieu, Dapper Dan le connaît très bien. Il grandit à Harlem, un quartier défavorisé de New York, avec trois frères et trois sœurs élevés par une mère femme au foyer et un père fonctionnaire. Passé par les petits trafics dans le quartier, le jeu et la drogue, il retrouve le droit chemin grâce aux discours de Malcom X qui le font réfléchir. Sous son influence, il rejoint les Black Panthers, s’intéresse au nationalisme noir, reprend ses études, devient végétarien et arrête définitivement l’alcool, la cigarette et la drogue. En 1982, après un long voyage en Afrique, il décide d’ouvrir sa boutique de vêtements là où il a grandi, à Harlem, et plus exactement sur la 125ème rue, l’axe principal du quartier.
La logomania à son paroxysme
Très vite Dapper Dan va comprendre l’importance du logo dans la mode. Dans les années 80, la fourrure fait un tabac. Une fois qu’il a suffisamment d’argent pour investir, le tailleur de Harlem achète des vestes en cuir doublées de fourrure d’opossum pour les vendre dans sa boutique. Dans le quartier, un de ses concurrents vend déjà ces mêmes vestes de la marque Andrew Marc à 1200$. Dapper Dan décide, lui, de les facturer 300$ moins cher, soit 800$. La boutique adverse, furieuse, contacte Andrew Marc pour que l’entreprise cesse de fournir le petit magasin qui casse les prix. Pour régler l’affaire, les trois parties parviennent à un compromis : Dapper Dan peut continuer à vendre les vestes Andrew Marc mais il doit enlever l’étiquette avec l’insigne de la marque de l’intérieur du vêtement. Il accepte. Le tailleur réalise alors que ce sont les logos qui définissent la valeur d’un vêtement. Il insiste auprès du New York Times :
“Le logo c’est tout ce qui compte. Le logo c’est ce qui sert aux gangsters à dire aux autres gangsters : ‘T’as pas ce que j’ai’. Le logo ou la marque vous distingue des autres”.
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Fort de cette révélation, Dapper Dan commence à fabriquer ses propres vêtements, siglés des grandes maisons de luxe. Et il n’y va pas avec le dos de la cuillère. Il utilise des tissus qu’il fabrique lui-même où le logo Gucci ou Louis Vuitton est utilisé en motif et se répète en une myriade de petits monogrammes. Il crée des sweatshirts oversized avec deux énormes “G” entrelacés en plein milieu. Un logo qui se retrouve aussi sur des casquettes de baseball ou des bombers. Les survêtements en cuir siglés Louis Vuitton ou les joggings avec une bande contrastante le long de la jambe imitation smoking sont quelques-unes de ses inventions.
Trente ans avant tout le monde, il fusionne des coupes streetwear avec les marques de luxe. “Ce qu’a fait Dap, c’est reprendre ce que faisaient les grandes marques mais en mieux”, dit le rapper Darold Ferguson Jr. appelé ASAP Ferg. “Il leur a appris à utiliser leur design de manière beaucoup plus efficace”, ajoute-t-il. Une époque où le total look logo est le summum du hype et où les chaînes en or s’entrechoquent au cou des rappeurs.
Le styliste star du milieu hip-hop des années 80
Dapper Dan adapte la mode à sa clientèle où se mélangent sportifs, rappeurs et gangsters en reprenant les codes du luxe qu’ils affectionnent tant. Sa particularité est aussi de faire des vêtements sur mesure, s’offrant un marché totalement ignoré par les marques haut de gamme. “Je suis un mec baraqué. Les maisons ne faisaient pas des tailles pour moi, donc je passais commande à Dan », confie Mike Tyson.
Dapper Dan vise juste, sa boutique fait fureur. Les gens se pressent devant son magasin de Harlem pour acheter ses vêtements à toutes heures du jour ou de la nuit. Les dealers prennent des photos polaroids de leur nouvelles acquisitions et les clichés se passent de mains en mains parfois jusqu’à Detroit, Los Angeles ou Philadelphie. La boutique ouvre 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. “A deux heures du matin des gens d’aussi loin que Philadelphie faisait leurs achats chez Dapper Dan”, se souvient le chanteur R&B Jeff Redd dans une interview au New York Times. “Il a changé la donne dans la mode”, ajoute-t-il.
Dapper Dan participe à l’affirmation d’une mode et de codes propres au milieu du hip-hop et du rap montré dans le documentaire de Sacha Jenkins, Fresh Dressed, sorti en 2015. Comme les rappeurs qui ré-utilisent des morceaux existants pour en faire de nouvelles musiques, Dapper Dan reprend les logos des grandes marques pour inventer un nouveau style. C’est le début de l’allure “fresh”.
Le maître du plagiat plagié
Évidemment, l’aventure ne pouvait durer que tant que les marques n’étaient pas au courant que leur logo était réutilisé. En 1988, une bagarre éclate devant la boutique de “Dap” entre les boxeurs Mike Tyson et Mitch Green. L’altercation fait les gros titres et attire l’attention médiatique sur la boutique de Harlem, et plus précisément sur ses designs. Très vite, Gucci, Fendi et Louis Vuitton attaquent en justice le tailleur pour plagiat et violation de la propriété intellectuelle. En 1992, soit dix ans après son ouverture, la boutique de Dapper Dan ferme définitivement. Le tailleur se défendra en expliquant au New York Magazine en 2015 :
“Je n’ai jamais créé des coupes de vêtements auxquelles les marques de luxe auraient pensé. J’étais dans un genre trop pointu pour eux.”
Pendant vingt-cinq le mythique tailleur de Harlem disparaît de la circulation et se fait peu à peu oublier. Mais, non sans ironie, Dapper Dan ressort des archives de l’histoire de la mode le 29 mai dernier quand Gucci est accusé d’avoir plagié un de ses designs lors de son défilé croisière. Alessandro Michele, le directeur artistique de la marque, présente une veste en fourrure marron avec des manches ballons siglées d’un motif fait du logo Gucci. Une veste identique à celle que Dapper Dan avait imaginée pour l’athlète Diane Dixon en 1989, mais avec les initiales de Louis Vuitton. La sportive réagit immédiatement sur Instagram mettant côte à côte les deux créations.
“Gucci a volé mon look ! Accordez le crédit à Dapper Dan, c’est lui qui l’a fait en premier en 1989 ! Maintenant ils comprennent !”
Pour couper court aux nombreuses critiques sur les réseaux sociaux, Alessandro Michele affirme au New York Times que c’est un “hommage” assumé au tailleur de Harlem et annonce qu’il souhaite collaborer avec Dapper Dan. Promesse tenue, mi-septembre, la marque dévoile sa nouvelle campagne de publicité de “Men’s Tailoring” pour l’automne avec pour nouvelle égérie Dapper Dan. Elle annonce dans la foulée une collaboration avec le tailleur pour une collection capsule qui sera vendue au printemps 2018 dans ses boutiques et l’ouverture d’un studio pour Dapper Dan dont Gucci fournira le matériel. Comme souvent dans la mode, la boucle est bouclée. Le créateur coupable de plagiat a été plagié, et celui autrefois hué est aujourd’hui réhabilité. Le tailleur mythique confie au New York Times :
“Alessandro et moi faisons partie de deux univers parallèles. Ce qui est magique, c’est que ses créations ont permis de réunir ces deux univers. Cela a ouvert un dialogue entre nous. J’ai découvert combien nos expériences étaient semblables, la façon dont il a grandi et dont j’ai grandi, comment il a été influencé par moi ”.
Pour Dapper Dan, c’est donc sans rancune.
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