Au Japon, les prêtres bouddhistes ne portent pas la barbe. Gyôsen Asakura lui, porte fièrement sa barbe qui date de l’époque où il mixait. Cet ancien dj hors du commun a décidé sur le tard de devenir prêtre et de laisser tomber les dancefloors pour un lieu un peu moins underground: le temple.
Un certain nombre de prêtres japonais se lancent dans des initiatives semblables à celle d’Asakura et offrent une nouvelle vie aux temples bouddhistes. Comment réinventer la religion à grand renfort de basses tonitruantes et de light show psyché? Mary Picone, chercheuse spécialiste du Japon et maître de conférence à l’EHESS nous éclaire sur le contexte économico-culturel de ce phénomène.
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Gyôsen Asakura a décidé d’endosser la robe monacale dans un but bien précis : présenter les trésors des temples bouddhistes sur de la techno. Dj avant de devenir moine, Asakura assure un show psyché à la limite du performatif dans lequel il déploie un univers musical percutant ainsi qu’un attirail technique impressionnant. Light show démesuré, décors kitsch à la gloire de bouddha et techno sur fond de chants bouddhiques, le temple est véritablement transformé en scène techno démoniaque qui ferait baver les habitués des clubs berlinois les plus dark. Le prêtre explique que son show est destiné à représenter le paradis sous une forme moderne et permet aux jeunes générations de renouer avec la tradition bouddhiste par le biais de la technologie contemporaine.
« Il est dit que nos ancêtres utilisaient les technologies les plus avancées auxquelles ils avaient accès pour orner le temple de feuille d’or et ainsi recréer ce ‘monde de lumière' ».
Asakura considère, avec sagesse et modestie, qu’il s’adapte à son temps et ne fait qu’utiliser les outils créatifs contemporains qui sont à sa disposition, tout comme le faisaient ses ancêtres avec l’utilisation de la feuille d’or, véritable prouesse technique à l’époque. Il faut vivre avec son temps, est-ce le message que tente de nous faire passer Asakura?
Une nouvelle génération de prêtres-buisnessmen
L’initiative étonnante de Gyôsen Asakura n’est pas un acte isolé explique la chercheuse Mary Picone: un nombre conséquent de jeunes prêtres se sont lancés ces dernières années dans une reconquête spirituelle et économique du patrimoine bouddhiste. Au Japon, la transmission du temple se faisant de père en fils, on assiste depuis plusieurs années à l’émergence de prêtres-businessmen qui après avoir fait leurs études en ville reviennent dans leurs campagnes natales et reprennent la concession du temple familial.
Ces jeunes hommes tentent alors de dynamiser l’attractivité du lieu en infusant leur propre expérience professionnelle dans l’enceinte du temple. On recense ainsi des architectes qui se lancent dans une modernisation architectural, des djs comme Asakura ou encore des musiciens comme Kissaquo, groupe folklo au succès national foudroyant.
Les temples victimes de l’enclavement rural
Les raisons de l’émergence de ces nouvelles pratiques liées au temple sont avant tout économiques: depuis maintenant les années 1950, on assiste à un exode rural croissant sur le territoire japonais. Les campagnes s’appauvrissent de jours en jours et leur attractivité diminue à mesure que s’asseoit la puissance économique de la mégapole japonaise et des grandes villes. La crise financière de 2007 a aggravé le sort des campagnes et avec elles celui des temples bouddhistes. Situés dans des zones très reculées les temples ruraux vivent dans l’ombre des temples très touristiques mieux intégrés au tissu urbain. Les prêtres comme Asakura ont vécu à la campagne et en ville, ils ont donc éminemment conscience des problématiques liées à l’exclusion urbaine qui touchent les temples.
Une technologie I-tech pour redorer les temples
Si on imagine mal un moine en soutane en train de mixer au Vatican pour motiver les fidèles, au Japon l’initiative d’Asakura a été chaleureusement accueillie. Le fait que la religion bouddhiste ne soit pas dirigée par une haute autorité religieuse comme le Pape dans le catholicisme, a sans doute permis une plus grande flexibilité dans l’évolution de la pratique religieuse. Pays ultra-contemporain, le Japon ne semble pas effrayé par les tendances nouvelles et a rapidement intégré ces nouvelles formes de culte. La mise en valeur des temples passe beaucoup par le prisme des nouvelles technologies.
Dans certains temples appelés « temples des enfers », Mary Picone explique que « ce qui est important c’est l’interactivité avec les moyens technologiques. » Dans un des temples des enfers, le geste rituel qui consiste à lancer une pièce de monnaie pour recevoir un conseil de la divinité a été réinterprété par le biais de la technologie. Ainsi quand on lance la pièce, un capteur de mouvement réagit et une voix préenregistrée surgit, comme si la divinité en personne s’exprimait: « Je suis toujours ronchon et je me plains tout le temps. » Le visiteur reçoit un conseil général d’ordre philosophique tiré directement des sutras et peut ainsi s’auto-évaluer. Les textes des sutras n’ont pas été simplifiés pour une compréhension plus directe, ils sont utilisés tels quels ce qui montre, malgré la modernisation technologique, une volonté d’être au plus près de la religion.
Un renouveau iconographique?
Des moyens technologiques encore plus impressionnants sont déployés dans certains temples dans lesquels les prêtres font appel à de jeunes illustrateurs qui utilisent des images de synthèse inspirés de l’imagerie bouddhiste. Les divinités dont ainsi transformées en personnages inspirés des très populaires animés japonais, à travers des productions complètes ou grâce à des ordinateurs graphiques. De nouvelles iconographies complètement kitsch voient le jour : la déesse patronne des arts se retrouve affublée d’une mini-jupe et prend des allures de collégienne sexy avec une voix de synthèse enfantine. Yeux énormes et voix modifiées, éléments caractéristiques des animés japonais, se mélangent à des symboles plus ou moins bouddhistes comme des nuages et des arcs en ciel pour créer une univers onirico-religieux complètement « fucké ». À noter que si cette nouvelle imagerie bariolée est ultra-contemporaine, l’image de la femme, elle, ne fait pas rêver: loin d’être progressiste, elle est réduite à l’archétype de la jeune fille pré-pubère en mini-jupe, on déplore que l’inventivité monacale ne se soit pas emparé des figures féminines.
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