Le chorégraphe canadien est de retour avec un solo comme “une réaction à ceux qui veulent de beaux spectacles”.
“Je suis le pire interprète de mon travail”, s’exclame face à vous Dave St-Pierre. Il faut tout de suite corriger le tir : St-Pierre est un danseur exceptionnel, habité d’une rage autant que d’une mélancolie certaine. Le Canadien à la barbe peroxydée de rigueur sort d’une représentation de Néant, solo mutant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“J’ai tous les tics dans mon corps. Les autres parviennent à les sublimer. Moi, ce que je suis, je le porte sur scène.” Pour se lancer dans l’aventure Néant, il a renoncé à certaines habitudes, passant un an à faire autre chose. “Je travaille en général avec des êtres humains, soit des boules d’émotion.” Ce solo est comme un temps à lui : “Je n’ai pas à m’engueuler, pas à me plaindre ou alors avec moi-même !”
Du Cirque Eloize à la Schauspiel de Francfort
Le créateur a parcouru le monde durant dix ans, porté par sa trilogie à succès Sociologie et autres utopies contemporaines. Vingt-cinq personnes sur les routes. “Il fallait que j’arrête de tourner et de créer. J’ai pris un long break, c’est ‘demandant’. Va pour un solo… et je me suis mis dans la merde.” Dave sourit mais il y a sans doute un peu de vrai dans cet aveu.
On se souvient des échos parvenus, donnant de lui une image d’enfant gâté. Le chorégraphe avait ainsi décidé de ne plus se produire à Montréal faute d’être payé correctement, lui et sa troupe. St-Pierre est entier. “J’ai eu besoin de faire de la recherche. Je me suis retrouvé invité par des musées sans avoir à produire quoi que ce soit. J’ai été chercher d’autres outils.”
Il passera également par la mise en scène, signant un spectacle pour le Cirque Eloize ou la Schauspiel de Francfort. Tout sauf refaire La Pornographie des âmes ! “J’ai créé une pièce, Fake, en février 2015, et je n’ai pas compris ce qui s’est passé. Le public était divisé, certains adoraient, d’autres détestaient. Ce n’était pas moi le plus important. Les producteurs ont eu peur, Fake n’a jamais tourné.”
“Après ce genre d’événement, il faut se poser la bonne question sur une création. Je me suis rendu compte qu’on ne voulait plus que le public soir brassé (bousculé – ndlr).” Dave St-Pierre raconte cela sans amertume. Il en a tiré une philosophie. Lui dont le corps opéré – il a été greffé il y a huit ans –, presque fragile, dicte d’autres urgences.
Un chorégraphe très fort en pirouettes
“Néant est peut-être une réaction à ceux qui veulent de beaux spectacles. Je le vois comme une pièce entre deux.” Un retour à la performance également. Dave St-Pierre y manie l’humour et les images. L’ensemble est constitué de séquences qui s’assemblent selon le format. Il a étrenné ce seul-en-scène cet été à Avignon dans le off.
Autre pirouette pour un chorégraphe passé par le in. “On m’a dit : tu recules, tu es dans le off ! C’est important de se confronter à un autre public.” Et de se remémorer La Pornographie des âmes donnée pour des 13-16 ans. Les observateurs trouvaient cela en décalage. “Pourtant, après la représentation, les jeunes sont venus me voir : enfin on parle de nous !”
Néant affiche une filiation certaine avec le répertoire de St-Pierre, ne serait-ce que par le port de la perruque ou la nudité. “Il faut que ma ‘blonde’ soit politique”, rigole son créateur. La version originelle de Néant dure une heure trente. “Et six heures à Marseille. Néant tourne autour de moi. Pour la prochaine pièce, Fléau, je parle du noyau familial que je me suis choisi – mon compagnon et mon chien.”
De la cage dorée au Néant
Dave St-Pierre a eu le sentiment de se retrouver dans une cage dorée après le triomphe de ses pièces de groupe. “Avec Néant, il s’agit de se brusquer. Et le public avec. Je veux me poser des questions sur mon travail, ma position d’artiste. Plus jeune, on a essayé de corriger mes défauts. Je dis toujours : cultivez-les plutôt ! Et si on a besoin de petits robots dans la danse, de mon côté je cherche des ‘monstres’ qui n’ont pas de technique. Je n’ai pas besoin des meilleurs danseurs, je cherche des énergies.”
Sur scène, Dave St-Pierre se sent “comme cet animal au pied du mur, acculé, se défendant avant de céder”. D’une certaine façon, Néant raconte un peu cela. A ses débuts, Dave passait d’un show comme Notre-Dame de Paris à une chorégraphie de Daniel Léveillé. Il se promenait dans les rues arborant une mohawk (une iroquoise – ndlr).
“J’effrayais quelque peu les bourgeoises. Les mêmes qui me faisaient un triomphe le soir dans Notre-Dame.” Depuis, St-Pierre a tracé sa route. Il a toujours cette allure de faune halluciné. “Je suis en bataille tout le temps. Je suis un punk dans l’âme.”
Néant Version longue : les 4 et 5 octobre, festival Actoral, Marseille. Version courte : du 11 au 14 octobre, Le Tarmac, Paris XXe
{"type":"Banniere-Basse"}