Il crache sur l’Autriche, la famille, les prix littéraires. Sur tout. Thomas Bernhard tel qu’en lui-même dans deux recueils de textes inédits en français. Hargneux et même drôle.
Cela doit être une erreur. Un exercice d’admiration signé Thomas Bernhard ? Impossible. Le texte qui ouvre Sur les traces de la vérité, volume rassemblant discours, lettres et entretiens de l’écrivain et dramaturge autrichien, ne comporte en effet nulle trace de sa légendaire détestation, de cette hargne qui colle à son oeuvre comme de la glu. Mais il faut s’appeler Arthur Rimbaud pour trouver grâce aux yeux de Bernhard. Il a 23 ans quand il donne cette conférence sur le poète, en 1954. Il n’a pas encore publié Gel, son premier roman, et gagne sa vie comme chroniqueur judiciaire. Mais, que le lecteur se rassure, la suite se révèle bien plus conforme à ce que l’on connaît de Thomas Bernhard, qui se définit comme « méchant par nature » : un concentré de haine et de misanthropie inoculé comme un contrepoison à la médiocrité et à la bêtise ambiantes.
L’aversion pour la famille, son dégoût de l’Autriche et de son passé nazi, son mépris pour la scène culturelle viennoise, son obsession de la mort, tous ces thèmes qui nourrissent ses pièces et ses romans émaillent aussi ses articles et ses interviews. Pas de scission entre l’oeuvre et l’auteur. Thomas Bernhard se donne d’un seul bloc, fielleux et hostile. Entre coups d’éclat et coups de sang.
En réponse à une mauvaise critique, il envoie un courrier des lecteurs bref mais cinglant : « Merci de ne pas trop vous fatiguer et, pour la prochaine critique d’un de mes livres, de faire directement appel à un chimpanzé ou singe hurleur… » A un journaliste qui le remercie pour l’entretien qu’il vient de lui accorder, il répond : « Vous appelez ça un entretien ? » Systématique, excessive, sa cruauté est telle qu’elle finit par faire rire. Cet humour, il l’avoue d’ailleurs : « Tout est drôle. Exactement comme dans ma prose on ne doit jamais savoir précisément si, à tel ou tel endroit, il faut éclater de rire ou non. »
On retrouve tous ces ingrédients dans les quatre récits parus au début des années 80 dans des journaux et réunis dans Goethe se mheurt. Qu’il évoque Goethe, Montaigne ou la montagne autrichienne, Thomas Bernhard ressasse sa colère, fustigeant tous ceux qu’il nomme les « annihilateurs », propagateurs d’une culture figée, morte. A sa manière, lui aussi fut un annihilateur, professeur de désespoir à l’éthique intransigeante.
Sur les traces de la vérité – Discours, lettres, entretiens, articles (Gallimard), sous la direction de Wolfram Bayer, Raimund Fellinger et Martin Huber, traduit de l’allemand par Daniel Mirsky, 420 pages, 22,50 € Goethe se mheurt (Gallimard), traduit de l’allemand par Daniel Mirsky, 128 pages, 13,50 €