Réuni en congrès depuis ce jeudi le Parti communiste français a fait disparaître la faucille et le marteau des cartes de ses adhérents. Romain Ducoulombier, historien spécialiste de l’image du communisme (son ouvrage « Vive les soviets » est paru en septembre dernier), analyse la disparition de ces symboles forts du communisme.
Que vous inspire l’abandon de la faucille et du marteau?
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Romain Ducoulombier – Si c’est confirmé, c’est très révélateur des contradictions du Parti communiste par rapport à son histoire. La faucille et le marteau ont été adoptés comme symboles fondateurs (avec le drapeau rouge et la gerbe de blé) dans les années 1920. Il est indissolublement lié à l’image de l’Union soviétique, mais avec le temps, les communistes français se le sont approprié. C’est même devenu indissociable de leur identité.
Et même si ce symbole est très fortement lié à la promesse soviétique, c’est devenu un signe identitaire. On imagine mal ce qu’est le PCF sans la faucille et le marteau, personnellement je l’imagine mal. C’est presque une éviscération pour certains militants, tant ils sont « viscéralement » liés à ces symboles.
Vous parlez de « contradictions » du Parti communiste?
Vis-à-vis de son passé, oui. Cet abandon est un signe de l’inachèvement de la « rénovation » à l’époque de Robert Hue, mais c’est aussi une remise en cause de l’identité communiste, qui traine le boulet de son passé, et qui a du mal à s’en débarrasser.
Pourquoi pensez-vous que le PCF a pris une telle décision?
Un certain nombre de choses inciteraient à les faire disparaître. On peut penser que le drapeau rouge suffit, car la faucille et le marteau rappellent l’industrialisme soviétique. C’est l’alliance des classes fondatrices de l’URSS, l’ouvrier et la kolkhozienne ; et cette vision industrialiste de la société était une conviction forte tout au long du XXe siècle. Or aujourd’hui, avec les débats amenés par Mélenchon sur l’écosocialisme, ce symbole ne fonctionne plus vraiment. Vous imaginez Mélenchon s’approprier la faucille et le marteau ? Le drapeau rouge révolutionnaire lui convient mieux.
Justement, certains voient dans cet abandon la mort du PCF, sa dissolution dans un courant « Front de gauche »…
Il y a une question générationnelle. L’abandon de la perspective révolutionnaire en 1976 avec l’adoption d’un discours sur le changement plutôt que sur la dictature du prolétariat a menacé de dissoudre l’identité du parti, son originalité historique, dans le courant général de la gauche française. C’est la même chose là, et ça effraie les communistes. Mais c’est un peu le dernier combat. Parce qu’au delà de ça, cette dissolution est largement engagée, voire peut-être déjà terminée. Malgré tout, si on s’attaque au dernier carré, aux derniers symboles, on est dans la désacralisation.
Pierre Laurent (le secrétaire général du PCF) met en avant l’idée de « nouvelle génération communiste« . Mais la question posée est de marier cette nouvelle génération qui viendrait à l’ancienne, attachée à certains principes qu’ils ne veulent pas remettre en cause. Et là où je vois une contradiction, c’est qu’à mon sens, ce qui unit ces vieux militants et ces jeunes, c’est le symbole de la faucille et du marteau. Même si c’est un symbole ouvriériste, peut-être un peu passéiste.
Le PCF peut-il survivre à l’abandon d’un symbole aussi important?
C’est peut-être une maladresse politique. Je ne sais pas si c’est un acte politique réfléchi ou le résultat d’une évolution qui dépasse ses auteurs. Car le fait de supprimer ces symboles fait ressortir tout ce qu’ils signifient, à la fois un objet identitaire pour les communistes, hérité du passé soviétique, et la référence révolutionnaire. Donc ça fait beaucoup d’un coup pour un seul symbole.
Ça ressemble vraiment à la formule « du passé faisons table rase« , chantée dans l’Internationale.
Je ne sais pas si c’est ce qu’ils avaient en tête. C’est l’aboutissement d’une logique, mise en branle dans les années 1990 avec la repentance « huiste », et la distanciation avec certains aspects bolchéviques et soviétiques de l’histoire du Parti communiste. C’est un pas tellement impossible et difficile à franchir qu’à mon avis, ça va sans doute provoquer des remous. Car le moment choisi pour effacer la faucille et le marteau du parti ne pourrait être pire. Un congrès, c’est fait pour adopter de nouveaux symboles, pas pour en faire disparaître.
Si le Parti communiste continue de renier son passé, il risque de disparaître. On a l’exemple en Italie, où le PC a cessé d’exister après avoir voulu rompre avec son histoire.
Romain Ducoulombier est l’auteur Vive les soviets, Les échappés, septembre 2012, Paris.
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