L’Espagne envisage d’adopter une loi très restrictive en matière d’avortement, reléguant un pays jadis à l’avant-garde des questions sociétales dans le peloton des Etats européens les moins progressistes.
“Les femmes qui avortent sont des victimes que l’on doit protéger.” Victimes de la loi, d’elles-mêmes ou du patriarcat, le gouvernement de Rajoy ne le précise pas. Mais il propose quand même de réduire à peau de chagrin le droit à l’avortement des Espagnoles.
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Selon la proposition de loi du gouvernement, avorter ne sera plus un droit, mais une alternative envisageable en cas de viol ou de mise en danger pour la santé de la mère. Et encore, pour justifier ces deux conditions, il faudra ou bien avoir déposé plainte pour viol (or en moyenne seules 10% des femmes violées le font), ou que deux médecins attestent du danger pour la mère. Le texte réintroduit par ailleurs l’obligation pour les mineures âgées de 16 et 17 ans d’avoir une autorisation parentale.
Le rétropédalage est douloureux. Depuis 2010, les Espagnoles ont le droit d’avorter jusqu’à leur 14e semaine de grossesse et jusqu’à 22 en cas de malformation du fœtus (jusqu’à 12 semaines en France, et sans limite de temps pour les interruptions médicales de grossesse). Le ministre de la Justice, Alberto Ruiz Gallardon, veut tout bonnement interdire ce dernier motif car “il n’existe pas de ‘conçus non-nés’ de première et de deuxième catégorie”.
Bond en arrière de 30 ans
Si le projet de loi est approuvé au Parlement – où le Parti populaire détient la majorité absolue, la législation espagnole ferait un bond de 30 ans en arrière, cantonnant l’IVG à ses limites législatives de 1985.
“Avec ce projet de loi, l’Espagne revient à des temps que nous croyions dépassés, note ainsi l’éditorial du 21 décembre d’El Pais. L’Espagne consacre un mode de régulation autoritaire qui non seulement nie à la mère un quelconque droit de décision sur sa maternité, mais la met dans la même position qu’une mineure, et la subordonne à des tierces personnes qui auront la possibilité de décider quelque chose qui la conditionnera pour le reste de sa vie.”
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L’IVG deviendrait alors un délit dépénalisé : en cas de réalisation d’une interruption volontaire de grossesse hors du cadre de la loi, seul le médecin pratiquant l’acte serait poursuivi, risquant jusqu’à trois ans de prison. “Toute la responsabilité pénale incombe aux médecins, ce qui sous-entend que les femmes ne savent pas ce qu’elles font, et que l’ignorance ou la témérité doivent être observées avec indulgence et piété”, dénonce avec fougue le journal de centre-droit El Mundo.
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“Nous n’allons pas nous résigner, abandonner ou être intimidées”, a réagi la numéro 2 du Parti socialiste espagnol, Elena Valenciano, qui réclame un vote à bulletin secret au sein du Parlement. Les associations féministes ont déjà organisé la riposte : un collectif de 200 associations a créé un “pacte pour le droit à l’IVG”, intimant les 76 députées du Parti populaire à voter contre le projet de loi Ruiz-Gallardon. Les performances se multiplient aussi dans les rues de Madrid, à l’instar des Femen espagnoles qui s’aspergent de faux sang devant une église de la capitale, ou investissent le Parlement en pleine session. Sur Twitter, le hashtag #MiBomboEsMio (“mon ventre m’appartient”) trône dans les trending topic espagnols depuis vendredi. Même les Catholiques se disputent, arguant que ce qui fait le péché des uns n’a pas à constituer le délit des autres.
Le Pen, seul soutien international de Rajoy
Mais pourquoi, alors que l’Espagne patine encore dans la crise économique, toucher aux droits civils ? Certes, la restriction du droit à l’avortement était une promesse de campagne de Mariano Rajoy en 2011, mais plus de la moitié des Espagnols continuent de soutenir le droit à l’avortement. La raison est avant tout politique : le Premier ministre, éclaboussé par un scandale de corruption, enchaîne les concessions à l’aile dure de son parti et aux revendications de l’épiscopat catholique contre “l’holocauste silencieux de l’avortement”.
Un calcul qui laisse Rajoy bien seul sur la scène européenne. Face à la “vive préoccupation” de Najat Vallaud-Belkacem et les remontrances de la presse internationale, seul Jean-Marie Le Pen a salué “le respect de la vie” du Parti populaire.
Le projet de Loi espagnol sur l’avortement prouve que l’on peut agir en la matière avec mesure, intelligence et souci du respect de la vie.
— Jean-Marie Le Pen (@lepenjm) December 23, 2013
“Les lois restrictives ne réduisent en aucun cas le nombre d’avortements, s’est alarmée l’association Médecins du monde, en s’appuyant sur une étude de l’OMS. Elles aboutissent à ce que les femmes qui ont le moins de moyens financiers interrompent leur grossesse dans des conditions peu sûres et qui peuvent mettre leur vie en danger.”
“Le ministre de la justice considère vraiment les femmes comme le sexe faible, soumises au paternalisme et incapables de décider du sort de leurs entrailles, conclut l’éditorial de El Mundo. Cette loi n’est pas un retour en arrière pour les droits des femmes. C’est un retour en arrière de la société même.”
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